Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/428

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aussi l’on prend sur le temps qui serait plus agréablement employé à s’étendre sous un frais ombrage. D’où il suit que la vraie formule du souverain bien, c’est une fraction dont le dénominateur exprime que la journée de marche est composée de tant de parties, et dont le numérateur exprime qu’on emploie en haltes un nombre indéfini de ces parties… »

Puis, pressentant l’objection : « Vous me direz, reprend M. R*** en se levant mélancoliquement pour continuer son chemin, vous me direz que ce n’est pas étendu sous un frais ombrage que l’on arrive à la Chambre, notre gîte de ce soir ? Hélas ! je ne le sais que trop ! Halte et marche, marche et halte, sont comme bien et mal, comme beau et laid, une de ces dualités fatales et irréductibles qui sont ici-bas la triste loi des choses et le désespoir du philosophe ! Pour tout concilier il faudrait, chers camarades, il faudrait que, par quelque miracle du ciel ou de l’industrie, la halte elle-même pût devenir cheminante. Alors, beau chêne que je quitte avec tant de regret, alors havre-sac détesté que je reprends avec tant d’amertume, mus par quelque ressort ou traînés par quelque bon ange, tous ensemble nous irions à Gênes, tous ensemble nous affronterions les tropiques, nous ferions le tour du monde au frais toujours, en paix toujours, toujours avançant et toujours en repos ! »