Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/441

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moment où l’on se sépare d’eux est toujours agréable, soit à cause des scrupules qui peuvent toujours leur survenir, soit à cause de cette belle carabine qui est au service de tous leurs scrupules. Au surplus, s’ils se montrent polis avec M. Töpffer, ce n’est, après tout, de leur part, qu’un rendu, puisque, du plus loin qu’il les voit, M. Töpffer ne manque jamais de leur faire des avances de physionomie et des avant-propos de civilité.

C’est que si M. R*** a sur les haltes des théories personnelles, M. Töpffer a sur les autorités constituées des principes, personnels aussi, auxquels il s’efforce d’assortir sa conduite et ses manières. Dans les pays où la loi et l’autorité sont deux choses distinctes, M. Töpffer se contente d’être en règle, puis, mettant son chapeau un peu de côté, en façon de dignité de l’homme, si une autorité vient à passer, il salue ou ne salue pas, selon qu’elle a l’air rogue ou bon enfant. Mais dans les pays où la loi et l’autorité sont si peu distinctes, que la loi n’y est au fait que l’autorité en personne, M. Töpffer s’y prend tout autrement. Droits de l’homme, dignité de l’homme, il laisse tout cela à la frontière ; puis, renversant un peu son chapeau sur l’arrière de l’occiput, à la façon des ingénus, si un carabinier royal vient à se montrer, il salue doux, il approche empressé et se livre reconnaissant. Que si au contraire c’est un curé qui le toise, il s’empreint de dévote vénération, et fait bien voir à son air qu’il est plein de bon vouloir pour l’Église. Que si c’est un conscrit qui le fixe, il fait le tour de cet Achille comme pour admirer la propreté du fourniment et la belle taille de ce cagneux. En un mot, purgeant son esprit par la terreur, selon le précepte d’Aristote, il courtise ces malotrus, et là où il aimerait le plus, toutes choses égales d’ailleurs, à rosser son homme ou à l’envoyer à tous les diables, là surtout, toutes choses n’étant pas du tout égales d’ailleurs, il lui témoigne soumission respectueuse, et il lui marque de toutes les façons la bonne envie qu’il a de lui être parfaitement agréable.

Et c’est bien pourquoi, lorsqu’au retour d’une tournée en Italie M. Töpffer franchit de nouveau les Alpes, ce n’est jamais sans éprouver un vif sentiment d’aise et de bonheur qu’en touchant à la terre de Suisse il dépose le lourd fardeau d’hypocrisie, et recouvre, avec la liberté d’allure, la liberté plus précieuse encore d’être droit, franc, ouvert avec des autorités qui ne sont plus dès lors que les agents désintéressés d’une loi souveraine… Bon gendarme de Gondo, sorte de pâtre en uniforme qui suffis, à toi tout seul, pour garder la frontière du Simplon, rien que ton accoutrement bonhomme, rien que ta figure honnête, au sortir des repaires d’où je sors, tout sinistres de défiance, tout souillés de police, tout formi-