Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/485

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pour des gens qui n’ont, hélas, plus de réception, plus d’audience, plus de conseil : ruines dorées d’une illustre république, brillants tombeaux d’une noblesse déchue, sur lesquels glose l’itinéraire et vit le cicerone, comme vivent les vers sur ce qui a fleuri, retenti, vécu ! Mais ce qui vivote encore dans Gênes, ce que nous sommes impatients de voir, c’est le port. Aussi, des palais, nous passons dans deux petites chaloupes qui nous promènent autour des bâtiments, et ce spectacle, pour gens qui n’y sont pas accoutumés, est le plus récréatif qui se puisse rencontrer. Ici Pillet, marin dans l’âme, a du dessus ; il explique, il compare, il développe, tandis que l’amiral, M. Töpffer, antimarin dans le cœur, flaire le vent, mesure la vague et contient la manœuvre dans les limites d’une prudence exemplaire. Pour communiquer directement avec les mousses, il baragouine l’italien naturel, l’italien d’inspiration, mais les mousses, qui sont intelligents, comprennent fort bien qu’ils n’y comprennent rien du tout. Messire Renard alors sert de truchement, et, par habitude apparemment, il vole la moitié des paroles qu’on lui confie. C’est encore lui qui a établi les conditions de la promenade à deux francs par heure. Ce n’est pas cher, parce que le cher homme cherche à se réhabiliter ; mais il est à parier que sur ces deux francs par heure il trouve encore moyen d’en voler trois à ses contractants, malgré l’extrême difficulté de la chose. Du reste, tout en ne paraissant jamais occupé d’autre chose que d’être agréable à la sérénissime compagnie, le drôle a l’oreille constamment à la piste de tout ce qui est sonnant, le nez à toutes les émanations de numéraire, l’esprit tout entier aux diverses manières qu’il y a de voler sans se faire pendre.

L’amiral dirige sur une belle frégate que nous nous proposons de visiter. Nous y sommes reçus au milieu de tout l’équipage, et si notre admiration est vivement excitée par la belle tenue du bâtiment et par les ingénieuses machines dont on nous explique l’usage, notre gratitude ne l’est pas moins par la politesse et par la complaisance du sous-officier qui nous fait les honneurs de son navire. Après nous avoir tout montré dans le plus grand détail, voulant encore nous donner une idée de la manœuvre, il ordonne à de petits mousses de douze à quatorze ans de grimper sur les cordages. En un clin d’œil ces enfants se trouvent perchés sur la pointe du grand mât, d’où ils redescendent avec plus d’agilité encore. C’est avec regret que nous quittons cette frégate et son équipage pour retourner à terre, après une navigation de trois heures qui se sont écoulées comme un instant.