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Le programme, pour l’heure suivante, porte repos et dispersion. Ainsi, pendant que les uns s’en retournent à l’hôtel, d’autres, plus curieux, s’en vont parcourir les rues. Dans une ville comme Gênes, c’est une récréation plus intéressante encore que de courir les palais, tant les constructions sont bizarres, les rues singulières, la population animée, bruyante, fourmillante, et l’aspect de toutes choses original. M. Töpffer, accompagné d’une douzaine de voyageurs, se mène perdre et eux avec lui, d’après son système, qu’on ne commence à connaître une ville qu’après qu’on s’y est plusieurs fois perdu volontairement et retrouvé tout seul. Toutefois, dans cette première excursion, il réussit plus vite à se perdre qu’à se retrouver. Après bien des marches et contre-marches, il aboutit aux longues et étroites rues qui enserrent le port. Ces rues sont remplies d’une population demi-vêtue, demi-sauvage, dont les visages de feu et les regards avides font ressentir certaines émotions qui ne sont pas sans charme, en tant que la police est là et le poste à deux pas.

Le dîner réunit tout le monde. La chère est excellente à l’hôtel des Étrangers. Notre hôte, M. Paris, est un homme qui comprend à la fois la dignité et la poésie de son art. Élégant fashionable lorsqu’il reçoit l’étranger, il porte d’ailleurs le costume marmiton lorsqu’il travaille à ses fourneaux, et toutes ses manières sont appropriées avec goût aux devoirs de sa profession. Le contrat fait avec lui porte que chaque tête lui payera par jour quatre francs pour nourriture et logement ; mais l’exécution laissée à sa générosité se trouve être plus favorable encore à nos intérêts que le contrat ne pouvait le faire prévoir. M. Paris nous festoie, et il attache autant de prix à nous régaler que si nous lui payions une guinée par jour. Oui, M. Paris est artiste ; son affaire n’est pas de gagner le plus possible sur nos quatre francs, mais bien, au contraire, d’honorer son art en nous régalant parfaitement, même pour quatre francs. Aussi, fort appliqué à ses sauces, il combine l’ordre des mets avec leur variété, leur contraste avec leur harmonie, et, saupoudrant le tout de bonne grâce et de civilité, il vient s’enquérir avec modestie et convenance si nous ne manquons de rien ou si nous désirons quelque chose. S’il est triste d’avoir affaire à des hôtes rapaces et sans délicatesse, c’est un agrément qui double le prix des bonnes choses que de se trouver entre les mains d’un homme aussi probe que poli. M. Paris est Français.

Après le dîner, il est question de naviguer encore, et nos bateliers de ce matin, qui ne nous perdront pas de vue jusqu’à notre