Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/487

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départ de Gênes, sont là tout prêts à faciliter la chose. L’on se rend donc au port, où l’on s’embarque de nouveau pour parcourir les canaux laissés entre les rangées de vaisseaux, et pour jouir du spectacle vivant de cette multitude de travaux divers dont la construction des navires, le chargement des vaisseaux, le nettoyage du port sont constamment l’occasion.

Après cela nous nous rendons au théâtre. MM. D***, L***, R*** et H*** ont eu la politesse de nous envoyer les clefs de leurs loges : ces clefs portent des numéros d’étage, de porte et de série ; mais M. Töpffer, pas encore bien remis de son aventure de l’an passé, ne s’en fie cette fois qu’aux ouvreuses les plus expérimentées pour l’introduire, lui et sa bande, dans les loges mises à sa disposition, et pas dans d’autres. Cette aventure, la voici ; elle vaut la peine d’être contée.

C’était à la Scala, à Milan. On nous avait remis pareillement une clef de loge. Cette clef en main, M. Töpffer va de porte en porte, cherchant la serrure qui y correspond. À la fin une porte s’ouvre, il entre. La loge est tout soie et velours, avec de grandes glaces où se répète l’image de monseigneur. Les bancs sont d’un moelleux ineffable, et un beau tapis recouvre le plancher. « Fort beau, vraiment ! » dit M. Töpffer ; et se plaçant au cordon, il jouit de la satisfaction de voir dix, vingt, cent binocles se braquer sur sa personne. Prestige complet, moments pleins de charmes, justice seulement trop généreuse rendue à un étranger de marque.

Cependant l’opéra va son train. « De cette loge, dit M. Töpffer, on ne perd rien. On voit tout le jeu des physionomies, tout le postiche des barbes… » Pendant que M. Töpffer fait ces remarques, il y a déjà longtemps qu’un monsieur fort bien mis le salue profondément et lui parle en italien sans qu’il s’en doute le moins du monde. À la fin, s’étant retourné : « Qu’est-ce, monsieur, qu’il vous faut ? » et il a l’air d’ajouter : « Remettez-vous, parlez sans crainte, ce n’est point à un ogre que vous avez affaire. »

Alors le monsieur, toujours plus civil : « Oserai-je… — Osez, osez, dit M. Töpffer. — Oserai-je demander à monsieur et à madame s’ils sont des personnes de la cour ? — Ah ! pour ça non ! De la cour ? dites-vous ; ma foi non ! — C’est que je me permettrai, monsieur, de vous faire observer que vous occupez une des loges du vice-roi, réservées aux seules personnes de la cour. — Ohé !… du vice-roi ? est-il possible ! — Rien que cela, monsieur, que je voulais vous faire observer. — Erreur d’étrangers,