Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/97

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assainir les âmes ! Perdu dans ces montagnes, il faut bien s’en tirer, et tout aussitôt l’effort électrise, l’air vivifie, l’estomac brame ; puis le soir, sous la basse toiture d’un chalet enfumé, à deux pas du foin qui sera tout à l’heure votre couche, on ne songe ni à Venise, ni à Saint-Marc, ni au café Florian, mais bien plutôt à ce ravissant gigot qu’on déballe, à cette clavette, à ce fromage qu’apportent des pâtres, à la grande joie que c’est d’être au monde pour y faire un pareil festin, pour y goûter, assis de bizingue, soi huitième, sur le couvercle d’un bahut, un si délicieux repos, un si entier contentement.

Et pour finir… des plaines ? Non ; des montagnes encore, des vallées encore, et inexplorées, et primitives : celle d’Hérens par exemple, où l’on soupe chez le président Favre, où l’on couche chez le conseiller Agaspe ; celle de Zermatt, où on loge chez le curé, où l’on voit des montagnards jouer des tragédies au pied de leurs rochers ; celle du Rhône enfin ; puis le Mayenwand, puis le Grimsel, et au delà ces douces prairies où Interlaken enserre sous le transparent feuillage de ses vieux noyers, des parfumeurs, des coiffeurs, des carrossiers, des libraires, un casino et vingt ruches alignées, proprettes, vernies, d’où, au coucher du soleil, l’on voit sortir et se porter dans l’avenue vingt essaims bourdonnants de graves gentlemen, de dandys brillants, de grasses ladys et de blondes miss. Dès ici plus de montagnes, mais les lacs, la grande route, les villes et toutes les commodités de la vie civilisée, qui, au sortir des rocs nus et des chalets enfumés, se trouvent avoir acquis un prix bien supérieur à celui pour lequel on nous les livre. Aussi la bourse commune elle-même, semblable à ces poitrinaires qui, ragaillardis par les tiédeurs de Nice ou de Madère, accélèrent en se remettant à jouir leur consomption prochaine, la bourse commune se dépense avec grâce, se dégraisse avec complaisance, s’amaigrit en souriant jusqu’à ce que, déjà flasque et diaphane, elle expire entre Morges et Rolle d’une saignée que lui fait le restaurateur du Léman. Il est vrai que ce frater-là n’y va pas de main morte. Tel est notre itinéraire de cette année. Hormis les vallées d’Hérens et de Zermatt, hormis encore les cols de Perret et de Fenêtre, il n’offre point de contrées ni de bouts de contrée que M. Töpffer n’ait déjà parcourus et décrits ; mais qu’importe sinon pour l’agrément de nouveauté que pourrait présenter cette relation, du moins pour l’agrément du voyage lui-même ? Encore une fois, quiconque, en se mettant en route, ne compte pas, pour se divertir, sur ses compagnons et sur lui-même, plutôt que sur les choses extérieures ; sur ce qu’il emporte de force, de santé et de bonne