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coussins ou qui se balance sur des ressorts, mais bien celle qui se goûte sous les arbres du chemin, sur la pierre nue des montagnes, au logis surtout, quel qu’il soit, lorsque, après l’avoir salué de tout loin, on approche, on arrive, on franchit le seuil, on dépose havre-sac, gourde et bâton pour ne songer plus, durant douze ou quinze heures, qu’à donner vacance à ses membres et fête à sa lassitude… ; que l’indépendance réelle et désirable, ce n’est pas celle qui ne peut faire un pas sans un attirail de voitures, de serviteurs et de valises, mais bien celle qui, équipée à la légère, se porte librement à droite, à gauche, là-bas, là-haut, partout où l’on peut marcher ou gravir ; non pas celle qui s’assujettit aux tyrannies de la mode, aux exigences de luxe et de confort, mais bien celle qui, affranchie de tous ces servages, se trouve une hôtellerie excellente partout où elle peut abriter sa fatigue, régaler son appétit, donner cours à sa joyeuse humeur, et, foin ou lit, goûter jusqu’à l’aurore les douceurs d’un sommeil assuré.

C’est en 1823 que nous fîmes, comme sous-maître dans un pensionnat, notre première excursion pédestre. Nous n’avions alors aucune habitude des longues marches, et pas davantage la liberté de raccourcir à notre gré des étapes fixées d’avance par un chef absent mais suprême. Jamais nous n’avons tant souffert. Dès le premier soir, travaillé de fatigue, tourmenté d’ampoules, incapable de manger et incapable de dormir, il ne nous restait déjà plus que la force de réfléchir sur les équivoques délices de notre situation, lorsque, vers une heure de la nuit, il fallut repartir pour atteindre, avant le lever du soleil, le sommet de la dent de Vaulion. Nous y atteignîmes en effet, transi, fiévreux, absolument démoralisé, et pour n’y voir ni le soleil, ni aucun des huit ou dix lacs que l’on découvre, dit-on, de cet endroit. À la place, et de toutes parts, des nuées grondantes et des averses en train, dont une fut pour nous. Endoloris par cette eau froide, nos membres refusaient d’aller ; et ce fut aidé, soutenu, porté presque par nos propres élèves, que nous pûmes, ce second soir, nous traîner jusqu’à Aubonne pour n’y trouver que les insomnies de la veille.

Le lendemain, ciel pur, temps radieux, et plus qu’une journée de cet infernal plaisir. Engagé d’abord dans les sentiers brûlés de la côte, pour trouver ensuite les poussières de la grande route, nous hâtions le pas néanmoins, afin d’en avoir fini plus tôt. Mais voici que devenu bientôt boiteux de fatigue et risible d’écloppement, nous n’osâmes plus affronter dans cet état le pavé de la ville, ni entrer de jour dans Genève. Que faire alors ?… À défaut d’ombrage plus voisin, nous descendîmes sous l’arche