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me mis à compter les coups, dont chacun se faisait attendre un siècle. Enfin, le dixième sonna, et j’éprouvai un grand soulagement.

Je commençais à me remettre, lorsqu’une robe bleue parut. C’était elle !… Mon cœur bondit, ma harangue s’envola. Je n’eus plus de sentiment que pour désirer de toute ma force qu’elle fût sortie dans quelque autre but ; et j’attendais, dans une anxiété inexprimable, de voir si, arrivée devant la maison, elle passerait outre, ou se détournerait pour entrer. Observant jusqu’aux plus légères déviations de sa marche, j’en tirais des inductions qui me comblaient tour à tour d’aise et de terreur ; et la seule chose qui me rassurât un peu, c’est qu’elle marchait de l’autre côté du ruisseau.

Elle le franchit ! et, comme les vitres m’empêchaient d’avancer la tête, je la perdis de vue. Aussitôt je la sentis dans la bibliothèque, et, toute présence d’esprit m’abandonnant, je courus vers la porte pour m’enfuir ; mais, en traversant le vestibule, le bruit de ses pas, répercuté dans la silencieuse cour, me fit réfléchir que j’allais la rencontrer. Je m’arrêtai. Elle était là… Au coup de cloche, mes yeux se troublèrent, je chancelai, et je m’assis bien déterminé à ne pas ouvrir.

En ce moment, la chatte de mon oncle, sautant du haut d’une lucarne voisine, vint tomber sur la tablette de la fenêtre. Au bruit, je fus secoué par un énorme tressaut, comme si la porte se fût ouverte tout à coup. L’animal m’ayant reconnu, je vis avec une affreuse angoisse qu’il allait miauler ; il miaula !…… Alors il me sembla si bien que le secret de ma présence était trahi, que, baissant les yeux de honte, je sentis la rougeur me monter au visage. Un second coup de cloche vint m’achever.