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oncle, que ma préoccupation et aussi ma figure à la fenêtre ne lui avaient pas échappé. Ainsi, nous nous étions compris ; ainsi, j’étais mille fois plus avancé que je ne croyais l’être, et je pouvais désormais me livrer au penchant de mon cœur sans être arrêté par la difficulté du premier pas, ou par la crainte de lui être étranger. Je commençai par prendre une exacte copie de ces lignes chéries ; puis, ayant sur le cœur le chagrin que j’avais fait à mon oncle, je profitai de son absence pour reporter le livre, que j’ajustai parmi d’autres, de manière à ce qu’il pût croire qu’il l’avait lui-même égaré.




Je revins chez moi, où je m’enfermai pour être plus seul avec mes pensées, qui, ce jour-là, me furent une douce compagnie. Je repassais sans cesse dans mon esprit les mêmes choses, pour leur trouver de nouvelles faces, jusqu’à ce qu’enfin, fatigué, je laissai le pas fait pour m’occuper des pas à faire ; car unir mon sort au sien était désormais l’unique but de ma vie.

J’avais dix-huit ans. J’étais étudiant, sans état, sans ressource autre que les bontés de mon oncle. Mais ces difficultés m’arrêtaient peu, et je les aplanissais au moyen de mille ressources que je puisais dans ce courage que donne la vivacité d’un premier amour. L’ambition, le dévouement, de vagues désirs de gloire, ennoblissant mon cœur, m’élevaient jusqu’à ma chère juive ; alors je recevais sa main, en lui offrant un sort digne d’elle. Ou bien, songeant combien j’étais encore loin de ces brillantes choses, je formais le vœu qu’elle se trouvât être pauvre, obscure, délaissée, telle enfin qu’elle eût à gagner en s’alliant à moi ; et les dédains