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lorsque tout me conviait à parler, je commençais à croire que, né gauche et stupide, je finirais par demeurer garçon, faute d’avoir su déclarer mes sentiments. Heureusement le hasard vint à mon aide.

Un matin je me livrais à ces pensées décourageantes, lorsqu’on frappa à ma porte. Je courus ouvrir : c’était Lucy. La visite de cette dame me combla d’aise ; car je savais d’avance quelle serait la grâce flatteuse de son langage, et j’étais bien déterminé à m’imaginer que, de derrière la cloison, Henriette n’en perdrait pas un mot.

Lucy, de retour d’une excursion en Suisse, venait me demander des nouvelles de ses copies. Elle était seule, je les lui présentai ; elle eut l’attention d’en paraître enchantée, ravie, et de prodiguer l’éloge à mes talents. Aussi je ne me sentais pas de joie, lorsque, changeant d’objet : — Vous n’étiez pas hier chez vous, monsieur Jules ?

— Auriez-vous pris la peine de monter jusqu’ici, madame ? Justement, hier matin, mon oncle me fit demander pour sortir avec lui.

— C’est ce que voulut bien m’apprendre une jeune personne qui travaille dans la chambre voisine, et chez qui je me reposai quelques instants. Quel est son nom, je vous prie ?

À cette question, je rougis jusqu’au blanc des yeux. Lucy s’en aperçut, et reprit aussitôt, non sans quelque embarras : — Je vous ai fait étourdiment une question que vous pourriez croire indiscrète, monsieur Jules ;… excusez-moi. Mon unique motif était l’envie de savoir le nom d’une jeune fille dont l’air, l’accueil et les manières m’ont inspiré de l’intérêt.

— Elle se nomme Henriette,… repris-je encore fort troublé. C’est un nom que je ne prononce pas sans