Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/215

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gauche dans vos allures, vous soyez ferme et honorable dans vos intentions. Eh bien, c’est à vous de me faire la preuve que vos propos, dans tous les cas inconvenants, sont honnêtes du moins, que vous savez où ils peuvent, où ils doivent nécessairement conduire, sous peine d’être inexcusables… Prouvez-moi donc que vous êtes réellement en mesure de vous marier, et aussitôt je rends justice à vos intentions… Que gagnez-vous, monsieur, année commune ?




Cette épouvantable question, que je voyais poindre depuis un moment, m’écrasa comme un coup de foudre. Je ne gagnais rien encore, je ne possédais pas un sou vaillant, et j’avais oublié d’y songer. Si Henriette m’aimait, si Henriette m’était unie, quel besoin d’autres ressources ?… Percer la cloison, et tout était dit. Mais le géomètre raisonnait autrement.

— Je gagne, monsieur, répondis-je tout pâlissant, je gagne… moins sans doute que je ne gagnerai par la suite ; mais j’ai un état…

Il m’interrompit : — C’est justement parce que vous avez un état, et que cet état est celui de peintre, que je précise ma question. Vous n’ignorez pas le proverbe. Votre état donne de la gloire quelquefois ; du pain, pas toujours. Ma fille n’a rien. Qu’avez-vous ? Ou plutôt j’en reviens à ma question : Que gagnez-vous, année commune ?

— Je gagne…

J’allais infailliblement mentir ou me trouver mal, lorsqu’on frappa à ma porte.