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— Oui, monsieur, mais ma mère ne possède que son mobilier. Si monsieur… — Y aller ? c’est que je vais avoir besoin de toi. Eh bien, va ; reviens me dire ce qui se passe, et, au retour, achète-moi de l’eau de Cologne.

Je me mis à faire ma barbe, avec d’autant plus d’intérêt que j’essayais un nouveau savon perfectionné. L’écume m’en sembla aussi riche et moelleuse que le parfum en était subtil et délicat ; seulement, l’eau n’étant pas très-chaude, j’en fus contrarié au point de maudire cet incendie qui en était la cause. Pendant ce temps, toutes les cloches de la ville carillonnaient, des cris lugubres retentissaient dans les rues voisines, et des troupes de gens venaient s’emparer, en face de chez moi, des seaux de la ville déposés sous un hangar. À ce bruit, j’allai vers ma croisée, tout délecté par une certaine émotion secrète que causent d’ordinaire ces scènes tumultueuses. Il faisait nuit, en sorte que je ne vis point les gens ; mais j’aperçus au ciel une lueur rougeâtre, sur laquelle les toits et les cheminées des maisons se dessinaient en un noir opaque. Quelques reflets arrivaient jusqu’à la grosse tour de la cathédrale, du sommet de laquelle les cloches en émoi m’envoyaient leurs volées, tantôt en un bruit éclatant, tantôt en un murmure lointain, selon que le batail frappait de mon côté ou du côté de l’horizon. C’est magnifique ! me dis-je. Et je revins vers la glace pour achever de me faire la barbe.

Elle me fut très-longue à faire et très-critique, à cause d’une petite coupure demi-cicatrisée qui, située sur l’arête du menton, exigeait les plus grands ménagements ; d’ailleurs j’allais voir de temps en temps les progrès de la lueur rougeâtre, qui ne cessait d’augmenter. Déjà quelques flammèches, s’élevant en gerbes au