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les prémices du véritable amour, mais que je n’avais pas rencontré encore au milieu des sentiments factices et des convenances du grand monde.

Quand nous fûmes parvenus au troisième étage, la jeune fille ouvrit une porte. Je crus m’apercevoir qu’elle versait quelques larmes. « Avez-vous quelque chagrin ? lui dis-je. — Non, monsieur… mais… je ne sais comment vous engager à vous retirer… Il me semble que vous ne devez pas entrer ici à cette heure… — Je n’entrerai pas, lui dis-je, si je vous chagrine si fort ; mais j’attendrai ici jusqu’à ce que votre mère soit de retour. Entrez, allumez une lumière, reposez-vous, et ne m’enviez pas, en souffrant que je reste ici sur le seuil, le bonheur de croire que je veille sur vous jusqu’à ce qu’un autre me relève. » Alors elle entra en déposant le manteau auprès de moi, et peu d’instants après une lumière parut qui éclaira un modeste réduit, espèce de cuisine propre et bien arrangée, où quelques meubles élégants contrastaient avec les ustensiles de ménage qui brillaient sur les tablettes.

Dans ce moment, je ne pouvais pas voir les traits de la jeune fille ; mais son ombre, répétée sur les rideaux qui cachaient au fond de la chambre une alcôve retirée, me laissait deviner une taille charmante et les grâces d’un maintien à la fois noble et tout embelli de jeunesse. Au mouvement de l’ombre, je jugeai qu’elle était occupée à réparer le désordre de ses cheveux, dont je voyais ondoyer les boucles flottantes à l’entour d’un cou dont la lueur de l’incendie m’avait déjà révélé l’élégante beauté. Tout imparfait que fût ce spectacle, il me paraissait enchanteur, et de moment en moment mon cœur se livrait avec plus d’abandon à l’entraînante douceur d’un sentiment plein de charme et de vivacité.