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aiguisé, et que le repas qui s’apprête va bientôt satisfaire. Tout en me promenant, je me dirigeai sur un rocher couvert de ruines : on l’appelle le mont Saint-Michel. Deux chèvres y broutaient, qui s’enfuirent à mon approche, me laissant maître de la place, où je m’assis auprès de jeunes aunes qui croissent en ce lieu.

Ce n’est point ici une aventure dont je dispose les circonstances. Ne vous attendez à rien, je vous prie, lecteur. J’étais assis, c’est tout ; mais c’est beaucoup, je vous assure, à cette heure et dans ce lieu. La vallée est déjà dans l’ombre ; mais, du côté où elle s’ouvre sur le mont Blanc qui est tout voisin, une resplendissante lumière éclaire et colore les glaces de cette cime majestueuse dont les dentelures se découpent avec magnificence sur un sombre azur. À mesure que le soleil s’abaisse, l’éclat se retire par degrés des plateaux de glace, des transparents abîmes ; et, quand de la dernière aiguille disparaît la dernière lueur, il semble que la vie ait cessé d’animer la nature. Alors les sens, jusqu’à ce moment charmés, attentifs, et comme enchaînés à ces sommités, se ressouviennent de la vallée ; la joue sent fraîchir le souffle du vent, l’oreille retrouve le bruit de la rivière, et des hauteurs contemplatives l’esprit redescend à songer au souper.

Un pâtre était venu chercher les chèvres. Au retour, je fis route avec lui. Ce bonhomme avait certaines notions sur le Col d’Anterne, et je lui eusse certainement proposé de me servir de guide le lendemain, sans l’extrême pusillanimité que je croyais remarquer en lui. « Les gens encore, disait-il, mais les messieurs ! non. La neige est haute en dessus ! Pas huit jours qu’il y a péri deux cochons, ceux de Pierre ; et sa femme aussi, qui les ramenait de la foire de Samoins. Deux cochons