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tout élevés ! Si encore elle les avait vendus, l’argent se serait retrouvé ! Je vous dis que c’est un mauvais passage en juin. » Je lui soutins, sur la foi de mon itinéraire, que le Col d’Anterne est au contraire un passage très-facile, puisqu’il n’est élevé que de 7086 pieds au-dessus du niveau de la mer, tandis que la limite des neiges éternelles est à 7812 pieds. Et, comme la force de mon argumentation ne me parut pas avoir convaincu le pâtre, je pris mon crayon, et, faisant sur la couverture même de l’itinéraire une soustraction victorieuse, je démontrai que nous avions encore, à partir du sommet du Col, 726 pieds de roc nu, par conséquent sans neige ni glace.

— Mâs’y fias[1] ! dit-il dans son patois. Vos chiffres, je m’y connais pas ; mais tenez : il y a deux ans d’ici, dans ce même mois, un Anglais y est resté. C’était le fils. Je vis son père tout en pleurs et en deuil. On lui fit fête chez Renaud, on lui mit devant des noix sèches, de la viande, du bouché ; rien n’y fit. C’est son fils qu’il voulait. On l’eut trente-six heures après, mais c’était le cadavre.

Il me parut évident que cet homme faisait quelque confusion de noms ; car l’itinéraire était positif, et la soustraction péremptoire. Au surplus, je voulais un peu de dangers ; et en supposant que le pâtre n’eût fait que représenter, avec l’exagération d’un esprit timide, des choses au fond vraies à quelque degré, il se trouvait que le Col d’Anterne était le col qui me convenait tout particulièrement entre les cols. Je persistai donc dans mon projet de le traverser sans guide, puisque je n’en trouvais point, mais avec le secours de mon excellent itiné-

  1. Il ne faut pas s’y fier.