Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/337

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— Pour nous observer et nous vendre. On te connaît. On t’a vu là-bas épier, regarder…

— … La belle nature, mes bons messieurs ; rien autre.

— La belle nature ?… Et ce coin où tu t’es tapi, était-ce, dis-moi, pour cueillir des simples ? Mauvais métier que celui que tu fais. Ces montagnes sont à nous. Malheur à qui vient nous y flairer ! Fais ta prière.

Il leva son pistolet. Je tombai par terre. Les deux autres s’approchèrent, plutôt qu’ils n’intervinrent, et tous les trois échangèrent à voix basse quelques paroles, à la suite desquelles l’un d’eux plaçant sans façon sa charge sur mes épaules : — Yu ! cria-t-il. C’est ainsi que je me trouvai faire partie d’une expédition de contrebande. C’était pour la première fois de ma vie ; je me suis depuis toujours arrangé pour que ce fût la dernière.

Il paraît que mon sort venait d’être décidé dans ce conseil secret, car ces hommes ne s’occupaient plus de moi. Ils marchaient en silence, portant tour à tour les deux charges restantes. J’essayai toutefois de revenir sur la démonstration de mon innocence, mais leur œil exercé plaidait plus en faveur de mon dire que ne pouvaient le faire toutes mes assurances ; ils en étaient seulement à ne pas s’expliquer pourquoi j’avais marché avec circonspection et regardé autour de moi, alors que je devais encore me croire seul. Je leur donnai la clef de ce mystère en leur avouant l’apparition qui m’avait frappé quand j’étais à considérer la flaque d’eau. — C’est égal, dit le mauvais, innocent ou non, tu peux nous vendre ; marche. Voici tout à l’heure la forêt ; on t’y fera ton affaire.

Que l’on juge du sinistre sens que je dus attacher à ces paroles. Aussi, durant la demi-heure de prome-