Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/338

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nade qui nous conduisit à la forêt voisine, j’eus le temps de me faire une juste idée des angoisses d’un patient que l’on conduit à l’échafaud. Elles sont, je puis l’assurer, fort dignes de pitié. Encore avais-je en ma faveur mon innocence d’abord, et puis la chance de rencontrer quelqu’un, sans compter celle qui m’était offerte de me précipiter, moi et ma charge, dans un abîme fort convenable qui s’ouvrait à notre droite. La première de ces chances ne se présenta pas, je ne voulus pas de l’autre, en sorte que nous arrivâmes sans encombre à la forêt. Là, ces messieurs m’ôtèrent ma charge ; ils me lièrent fortement à un gros mélèze, et… au lieu de m’abattre, comme ils avaient fait de Jean-Jean : — Il nous faut, me dirent-ils, vingt-quatre heures de sécurité. Tenez-vous en joie. Demain, en repassant, nous vous délierons, et la reconnaissance vous rendra discret. Après quoi, ils reprirent leur charge et me quittèrent.

Je crois que jamais la nature ne me parut belle et radieuse comme dans ce moment-là. Chose singulière ! mon mélèze ne me gênait nullement. Vingt-quatre heures me semblaient une minute ; ces hommes, de bien honnêtes gens, un peu brusques par nécessité ; mais d’ailleurs estimables et connaissant les usages. C’est que la vie m’était réellement rendue ! Aussi, au bout de quelques minutes, une joie puissante succédant au trouble le plus effroyable, j’éprouvai une sorte d’anéantissement, et, quand je revins à moi, les larmes inondaient mon visage. Je n’ai pas voulu mêler au récit d’angoisses devenues risibles par le dénoûment auquel elles aboutirent, celui des mouvements qui agitèrent mon cœur dans cette occasion ; mais pourquoi tairais-je qu’à peine délivré je rendis grâce à Dieu de toutes les