Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/344

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cette fois, bien certain que je ne serais délivré que le lendemain matin ; je tâchai de m’accoutumer à cette idée. Heureusement la soirée était chaude, et l’air d’une sérénité délicieuse. Le soleil, déjà sur son déclin, pénétrait horizontalement dans la forêt, fermée durant le jour à ses rayons, et les troncs de mélèze se projetaient en longues ombres sur un sol mousseux, tout resplendissant de teintes chaudes et éclatantes. Quelques buses que j’avais vues planer au-dessus de ma tête avaient disparu ; les corbeaux traversaient en croassant la vallée de l’Arve, pour gagner leur gîte nocturne, et les cimes elles-mêmes, en se décolorant peu à peu, semblaient passer de l’activité de la vie au silence du sommeil. Cette paix du soir, ce spectacle de la nature qui s’enveloppe d’ombres et s’endort dans la nuit, exercent sur l’âme une secrète puissance qui y éteint le trouble et les préoccupations dans le charme d’une douce mélancolie. Malgré le désagrément de ma situation, je n’échappai pas à ces impressions. Mon cœur, mollement remué, se reportait sur les heures de cette orageuse journée, et, en y retrouvant la trace des angoisses du matin, il savourait avec plus de vivacité la tranquille douceur de la soirée et le rassérénant espoir d’une délivrance, sinon immédiate, du moins assurée et prochaine.

Cependant, aux derniers rayons du couchant, je vis paraître sur mon horizon quelques hommes, des femmes, des enfants, tout un village. Ces figures, placées entre le soleil et moi, se détachaient en mouvantes silhouettes sur le transparent feuillage de mélèzes inférieurs, en sorte que je ne reconnus pas d’abord parmi elles mon syndic et sa chopine. Il s’y trouvait pourtant, et à ses côtés le curé, qu’amenait aussi la renommée