Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/385

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alentour, venaient de nous apercevoir. Le bossu descendit de son tertre. Un autre y monta aussitôt pour le contrefaire, en faisant risiblement contraster la tournure de l’orateur, sa physionomie grêle, ses gestes anguleux et rétrécis, avec l’emphase sonore de ses paroles. Mon pauvre ami, pâlissant et déconcerté, s’efforça de sourire à ces traits qui lui déchiraient le cœur ; mais sa plus chère espérance lui était enlevée en ce moment. Croyant voir en effet, dans les rires dont il était l’objet, l’impression qu’il était appelé à faire un jour sur cette foule dont il ambitionnait les suffrages, le découragement s’empara de lui, et dès ce moment il ne songea plus à la carrière du barreau. Mais il y avait renoncé depuis longtemps, qu’il avait encore à subir ces railleries et ces quolibets qu’autorise, entre camarades, une familiarité qui n’est trop souvent que le manque de la plus ordinaire bonté.

Il ne lui arriva pas néanmoins, dans cette occasion ni dans d’autres, ce qui arrive fréquemment aux bossus, et ce qui est cause que le proverbe leur attribue un caractère tout particulièrement malicieux. Sans cesse en butte aux attaques du ridicule, ils ramassent l’arme qu’on leur lance, et la renvoient aiguisée par une malice vengeresse. C’est dans ce triste exercice que leur œil se forme à saisir du premier coup le côté vulnérable de leur adversaire, et à y décocher d’une main prompte et sûre un trait qui frappe juste et fort. C’est, en particulier, dans ce triste exercice que les bossus du bas peuple, ceux que rien ne protège et que rien ne contraint, contractent cet air d’ignoble malice, ce cynique sourire, ce regard disgracieux et jaloux, cet esprit caustique enfin, que le proverbe signale, sans ajouter ni faire entendre qu’il n’est que l’arme d’une légitime défense