Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/386

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opposée à une agression basse et méchante. Pour Henri, quoiqu’au milieu de la vie républicaine des colléges il se trouvât constamment exposé aux moqueries et aux sarcasmes, son cœur n’y perdit rien de sa noblesse ni de sa bonté. Cachant ses blessures derrière un masque d’indifférence ou de résignation, il dédaignait de ramasser le trait qui lui était lancé, parce qu’il n’eût trouvé aucun soulagement à rendre le mal qui lui était fait. Il préférait être moqué, mais bien vu de ses camarades, aimé d’eux peut-être, au triste avantage d’être craint, mais délaissé. Cette noblesse d’âme se peignait sur son visage, dont les traits aimables et l’expression douce et mélancolique faisaient oublier, sans le détruire, le vice de sa stature.

C’est ainsi qu’après une ingrate adolescence, Henri s’avançait vers une jeunesse dépouillée à l’avance de tous ses prestiges. Ses yeux s’étaient dessillés par degrés. Il avait entrevu les bornes de la sphère dans laquelle il lui était permis de se mouvoir, et, devinant, sans les attendre, les rudes leçons du ridicule, il employait ses efforts à maîtriser des facultés jalouses de se produire et à dompter les mouvements d’un naturel ardent et expansif. C’était sage ; mais, lorsqu’il y fut parvenu, sa condition n’en fut que plus triste. Les choses mêmes qui l’avaient captivé jusqu’alors, l’étude, le savoir, lui devinrent peu à peu indifférentes à mesure qu’il arrivait à y voir, non plus un moyen de se distinguer dans une carrière active et publique, mais seulement une occupation oiseuse, une récréation stérile. Après avoir végété durant quelques années, il finit par se résigner à l’obscurité, et se laissa guider par ses parents, dont il avait jusqu’alors contrarié les vues sévères sans doute, mais prévoyantes. Ils lui firent embrasser la carrière