Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/392

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et simple, ses traits s’animaient d’un rayon de sentiment, et les larmes venaient mouiller sa paupière. Il semblait qu’il fût passé sous le charme de ces songes éclatants, de ces transports sans cause, que fait surgir du sein de l’âme un chant expressif, et que son cœur battît de reconnaissance pour la jeune fille dont les accents lui procuraient cette passagère mais vive félicité. Comme ces émotions n’avaient en général pour effet que d’aggraver plus tard sa tristesse, je voulus y couper court en nous éloignant ; mais il ne me retint ni ne me suivit. Après une ballade, ces femmes en chantèrent une autre : la jeune enfant vint en rougissant cueillir notre offrande ; puis elles se retirèrent pour recommencer plus loin. Nous les suivîmes de place en place jusqu’au soir.

Quand nous les eûmes quittées, Henri demeura longtemps silencieux et préoccupé, jusqu’à ce qu’enfin, donnant essor à sa pensée : « Qui arrachera ces femmes, dit-il brusquement, à ce métier abject et pénible ?… Qui remettra cette enfant à la place qu’elle est digne, j’en suis sûr, d’occuper ?… Non, ajouta-t-il, non, on ne rougit pas ainsi, l’on n’a pas ce regard timide, ce front chaste, si l’on n’est honnête et pure ! »

Tout en parlant ainsi avec un air passionné, Henri me regardait fixement, comme pour pénétrer l’impression secrète que me faisaient ses paroles. Et comme, incertain moi-même sur le sens qu’il fallait y attacher, j’hésitais à répondre : « C’est moi, reprit-il avec véhémence, c’est moi qui voudrais l’y mettre, à cette place dont elle est digne !… Mais c’est elle qui ne voudrait pas de moi, et vous n’osez me le dire ! » En achevant ces mots, sa voix s’altéra, et les larmes vinrent à ses yeux.