Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/395

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jets. C’est que je n’en avais pas, cher ami. Ma seule envie était de fuir les lieux où j’avais tant souffert, et de m’en éloigner le plus possible. Aussi, lorsque, après quelque séjour à Paris, on m’y proposa de passer en Amérique pour y terminer une affaire dans laquelle étaient engagés de grands intérêts, je m’empressai d’accepter, et quelques jours après je voguais sur l’Océan.

« Le navire était encombré de passagers. Parmi eux, je remarquai un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, dont l’air grave et triste à la fois attira dès les premiers jours ma sympathie. J’allai à lui, nous causâmes. Il paraissait travaillé de quelque mal qu’il supportait avec un tranquille courage. Ce mal s’aggrava beaucoup durant la traversée, qui fut longue et pénible, et nous étions déjà en vue de la terre, qu’il était devenu peu probable qu’on pût l’y débarquer vivant. Sa jeune épouse ne le quittait pas un instant. Je me souviens que, témoin des tendres soins qu’elle lui prodiguait, je regardais ce moribond d’un œil jaloux, et j’aurais acheté de tout ce qui me restait de biens ou d’espoir le plaisir de mourir dans les bras de cette angélique créature.

« Ce monsieur était un jeune ecclésiastique plein de foi et de désintéressement, qui se rendait dans un des districts éloignés de l’ouest, pour y desservir une église naissante. Son frère, établi depuis quelques années dans la contrée, l’y avait appelé. Ce fut lui-même qui me conta ces choses : « Mais, ajouta-t-il un jour que sa femme ne pouvait nous entendre, je doute que je puisse arriver jusque là-bas ! Ce que je demande à Dieu, puisqu’il me retire à lui, c’est de me laisser le temps de remettre ma femme aux soins de mon frère… » Ces derniers mots lui causèrent un attendrissement contre lequel