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années de silence de sa part, j’ai reçu ces jours passés la lettre qu’on va lire, et écrit à cette occasion les pages qui précèdent.


« Vous souvient-il, Louis, d’un pauvre bossu que vous avez aimé, supporté, consolé ? Il est aujourd’hui marié, père, et content comme… comme ne le fut jamais homme sans bosse. C’est lui qui vous écrit.

« Le malheur aigrit, aveugle. Quand je partis, je me détestais moi-même, et je ne vous aimais plus. Aujourd’hui je songe avec larmes que j’ai pu méconnaître votre longue et patiente amitié, et mon cœur ne se pardonne pas d’avoir été ingrat envers le vôtre.

« J’ai une compagne, Louis ! Ce bonheur que j’ai tant rêvé, je le goûte dans toute sa plénitude ; Dieu m’a tiré du bord de l’abîme vers lequel m’entraînait le désespoir, pour m’élever à cette condition d’homme et de père, dont la félicité répond à tout ce que se figurait mon imagination elle-même. Autour de nous grandissent trois enfants dont la vue seule me transporte de plaisir, et me fait aimer avec adoration celle qui me les a donnés. Dites, Louis, à vos demoiselles qu’elles épousent des bossus. Je crois, en vérité, qu’un bossu pourrait bien être le plus dévoué, sinon le plus séduisant des maris. Sa femme est pour lui bien plus qu’une femme, c’est une Providence qui l’a sauvé ; il ne se croit point son égal, mais sa reconnaissante créature ; surtout, il ne peut oublier jamais qu’en lui accordant cette affection à laquelle il ne pouvait prétendre, elle l’a remis en possession des joies du ciel dont il était déshérité, et son cœur tout entier ne peut suffire à la chérir dignement.

« Quand je partis, je n’allai pas vous dire mes pro-