Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/106

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de terre et crut sa dernière heure arrivée. Le lendemain, elle écrivait à deux ou trois amis, dont chacun lui était plus cher que tout le reste du monde, que, se voyant mourir, elle n’avait pensé qu’à deux personnes : elle-même et lui. Elle en avait également assuré — un peu avant le jour — ce Rimsky, dont le nom seul était pour Hubert comme un coup de couteau.

Ah ! s’il avait su que ce moscovite sinueux avait été son compagnon de voyage depuis San-Francisco jusqu’à Changhaï, où seulement il l’avait quittée pour aller prendre le transsibérien ! À Paris, déjà, il les avait brouillée pour plusieurs mois. Et puis, Hubert s’était laissé persuader que ce n’était là que coup de tête, coquetterie, un flirt quelque peu poussé, mais qu’on lui sacrifiait. De fait, Rimsky avait dû, à l’époque de ce sacrifice, regagner pour quelque temps la Russie, où Hubert le croyait retenu par son service politique. Christiane, on l’a vu, était tenue mieux au courant ; et si elle avait jadis, avec tant d’ardeur, juré de ne pas revoir son Russe, c’est d’abord quelle tenait à Hubert, et aussi parce que « les serments, comme elle disait, n’engagent que l’heure ». Peut-être, par tout cela, jugera-t-on que Christiane n’avait pas une très jolie couleur d’âme. Peut-être — mais elle avait des cheveux d’or, et dans les yeux, une flamme aussi pure, aussi glorieuse qu’un rayon de soleil qui perce la verte fontaine.

Ils étaient clos à présent, ces yeux, et leur double mensonge. Christiane dormait, depuis sa septième pipe, comme un enfant. Elle dormait encore quand les sampans ; au grand