Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/105

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— Sitnikof, Kirsanof, grommela Bazarof sans s’arrêter.

— Je suis charmé, commença Sitnikof, avec un gracieux sourire en marchant de côté et en ôtant précipitamment ses gants qui étaient d’une élégance par trop recherchée. — J’ai beaucoup entendu parler… Je suis une très-ancienne connaissance d’Eugène Vassilitch, et je peux même me dire son élève. Je lui dois ma transformation… —

Arcade jeta les yeux sur l’élève transformé de Bazarof. Son petit visage à la peau lisse et ses traits réguliers exprimaient une attention inquiète et obtuse ; ses yeux qui semblaient bridés étaient fixes et effarés en même temps ; son rire même, bref et sec, avait quelque chose d’effaré.

— Vous me croirez sans peine, reprit-il ; lorsque Eugène Vassilitch me déclara pour la première fois qu’il ne faut point reconnaître d’autorité, j’éprouvai une telle joie…, je me sentis renaître à une nouvelle existence ! Enfin, me dis-je, voilà donc un homme ! À propos, Eugène Vassilitch, il faut absolument que vous alliez voir une dame d’ici qui est tout à fait à votre hauteur et pour laquelle votre visite sera une véritable fête ; vous devez avoir entendu parler d’elle ?

— Qui est-ce ? répondit Bazarof avec ennui.

— Evdoxia Koukchine, Eudoxie. C’est une nature remarquable, émancipée dans toute la force du terme, une femme vraiment avancée, savez-vous ? Allons maintenant chez elle tous les trois, elle de-