Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/137

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elle, en s’appuyant le coude sur la table, de sorte que son visage se trouva rapproché de celui de Bazarof. Comment faites-vous pour vous en passer ?

— À quoi sert-il ? Permettez-moi de vous le demander ?

— Quand ce ne serait qu’à connaître, à étudier les hommes ?

Bazarof sourit.

— Premièrement, continua-t-il, on y arrive par l’expérience de la vie ; et, en second lieu, je me permettrai de vous dire que je ne crois nullement nécessaire d’apprendre à connaître chaque individu en particulier. Tous les hommes se ressemblent, tant pour le corps que pour l’âme ; chacun de nous a un cerveau, un cœur, une rate, des poumons construits de la même manière. Les qualités que l’on nomme « morales » sont également identiques chez tous les hommes ; elles ne présentent que des différences insignifiantes. Un seul exemplaire humain suffit pour juger tous les autres. Les hommes sont comme les bouleaux des forêts ; aucun botaniste ne s’avisera d’en étudier chaque échantillon séparément.

Katia qui choisissait lentement les fleurs l’une après l’autre, leva les yeux sur Bazarof d’un air étonné, mais ayant rencontré son regard insouciant et hardi, elle rougit jusqu’aux oreilles. Madame Odintsof secoua la tête.

— Les bouleaux des forêts ! répéta-t-elle ; ainsi donc, suivant vous, il n’y a aucune différence entre