Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/138

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un sot et un homme d’esprit, entre les bons et les méchants ?

— Si fait ; comme entre l’homme sain et le malade. Les poumons d’un poitrinaire ne sont pas dans le même état que chez vous et chez moi, quoique leur structure soit la même. Nous savons approximativement la cause de certaines maladies physiques ; quant aux maladies morales, elles proviennent d’une mauvaise éducation, de toutes sortes de sottises dont on bourre nos têtes, en un mot, de l’absurde condition de notre droit social. Réformez la société et vous n’aurez plus de maladies.

Bazarof prononça ces paroles d’un air qui semblait dire : Croyez-moi ou non, cela m’est absolument égal. Il passait lentement ses doigts longs dans ses favoris, et ses yeux couraient d’un côté de la chambre à l’autre.

— Et vous croyez, reprit madame Odintsof, que lorsque la société sera réformée, il n’y aura plus ni sots, ni méchants ?

— Ce qu’il y a de certain, c’est que la société une fois bien organisée, il sera parfaitement égal qu’un homme soit bête ou intelligent, méchant ou bon.

— Oui, je comprends ; tous auront la même rate.

— Précisément, madame.

Madame Odintsof se retourna vers Arcade.

— Qu’en pensez-vous ? lui demanda-t-elle.

— Je partage l’opinion d’Eugène ; répondit celui-ci.