Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

serrées ; cependant, vers la fin de la sonate sa figure se colora, et une petite tresse de ses cheveux s’étant défaite tomba sur son noir sourcil.

Arcade écouta avec plaisir la dernière partie de la sonate, celle où au milieu de la gaieté charmante d’une mélodie heureuse se font tout à coup entendre les transports d’une douleur amère, presque tragique… Mais les idées que lui inspirait la musique de Mozart ne se rapportaient point à Katia. En la regardant, il ne lui venait à l’esprit qu’une seule pensée : « Cette jeune personne, se disait-il, joue bien et elle n’est pas mal. »

La sonate terminée, Katia lui demanda sans quitter les touches du piano :

— Est-ce assez ?

Arcade lui répondit qu’il ne voulait pas abuser de sa complaisance, et se mit à lui parler de Mozart ; il lui demanda si elle avait choisi elle-même cette sonate, ou si quelqu’un la lui avait recommandée. Mais Katia ne répondait que par monosyllabes ; elle s’était cachée, elle était pour ainsi dire rentrée dans sa coquille. Lorsqu’il lui arrivait de tomber dans cet état, elle était longtemps avant d’oser lever les yeux et ses traits prenaient une expression d’entêtement ; on l’eût prise pour une petite fille insignifiante. Ce n’est pas qu’elle fût timide ; elle était plutôt un peu effarouchée, pour ainsi dire, par sa sœur qui, comme nous l’avons vu, veillait à son éducation et ne se doutait pas de ce qui se passait en elle. Arcade en fut réduit, pour se don-