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le salon, et madame Odintsof demeurait toujours immobile ; parfois seulement elle passait les doigts sur ses bras que la fraîcheur de la nuit commençait à mordiller.

Près de deux heures après, Bazarof rentra dans sa chambre, l’air farouche, les cheveux en désordre, les souliers mouillés par la rosée. Arcade était encore à sa table, un livre à la main, et la redingote boutonnée jusqu’au menton.

— Tu n’es pas couché ? lui dit Bazarof presque avec dépit.

— Tu es resté bien longtemps ce soir avec madame Odintsof, dit Arcade, sans répondre à cette question.

— Oui, je suis resté avec elle tout le temps que tu as joué du piano avec Katérina Serghéïevna.

— Je n’ai pas joué…, reprit Arcade, et il n’en dit pas davantage. Il sentait que ses yeux allaient se mouiller de larmes, et il ne voulait point pleurer devant son ami dont il redoutait l’humeur moqueuse.


XVIII


Le lendemain, lorsque madame Odintsof parut pour le thé, Bazarof resta longtemps penché sur sa tasse ; puis, il fixa tout à coup ses yeux sur elle… Elle se tourna vers lui comme s’il venait de la pousser, et il crut remarquer qu’elle était plus pâle que la veille. Elle rentra bientôt dans sa chambre et ne se montra de