Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/181

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pas comme ça, heureusement ; il a couru le monde ; il a passé au crible et au bluteau, comme on dit. Impossible de fumer ! s’écria-t-il en jetant son cigare au milieu de la poussière de la route.

— Votre bien est à vingt-cinq verstes d’ici ? demanda Arcade.

— Oui. Au reste, voilà un philosophe qui va nous le dire, et il montra le paysan assis sur le siège, auquel Fédote avait confié ses chevaux.

Le paysan se borna à répondre : « Qui sait ? les verstes ne sont pas mesurées ici. » Il se remit à gronder à demi-voix son cheval de brancard, qui secouait la tête, et tirait sur les rênes.

— Oui, oui, reprit Bazarof, cela devrait vous servir de leçon, mon jeune ami. Je crois vraiment que le diable s’en mêle ! Chaque homme pend à un bout de ficelle ; un abîme peut s’ouvrir d’un instant à l’autre sous ses pieds ; eh bien, cette triste perspective ne lui suffit pas, et il imagine je ne sais quelles sottises qui rendent sa vie encore plus misérable.

— À quoi fais-tu allusion ? demanda Arcade ?

— À rien ; tout comme je dis sans allusion que nous nous sommes conduits comme des imbéciles tous les deux. Au reste, j’ai déjà remarqué, dans notre clinique, que les malades que leur état impatientait se tiraient toujours d’affaire.

— Je ne te comprends pas très-bien, reprit Arcade ; il me semble que tu n’as pas eu sujet de te plaindre.

— Puisque tu ne me comprends pas bien, je vais te