Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/182

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déclarer ce qui suit : Mon opinion est qu’il vaut mieux casser des pierres sur la grand’route, que de laisser une femme s’emparer, ne fût-ce que de l’extrémité de votre petit doigt. Tout cela c’est… Bazarof allait prononcer son terme favori « du romantisme ; » mais il se retint. — Tu ne me croiras pas maintenant, ajouta-t-il, et pourtant ce que je vais te dire est parfaitement vrai. Nous étions tombés ensemble dans une société de femmes, et ce genre de vie nous paraissait fort doux. Mais il est aussi agréable de quitter ce monde-là que de s’arroser d’eau froide par une chaude journée d’été. Un homme a mieux à faire que de s’occuper de pareilles sornettes ; un homme doit être féroce, dit un très-sage proverbe espagnol. Toi, par exemple, l’ami, ajouta-t-il en s’adressant au cocher qui était sur le siège, as-tu une femme ?

Le paysan se retourna et montra aux deux amis sa figure plate, aux yeux chafouins.

— Une femme ? sans doute ! Comment n’en pas avoir ?

— Tu la bats ?

— La femme ? Il peut arriver bien des choses… On ne la bat pas sans raison.

— Bien entendu. Et elle, te bat-elle aussi ?

Le paysan donna une saccade à ses chevaux.

— Qu’est-ce que tu viens de dire là, maître ? reprit-il ; il paraît que tu aimes à plaisanter.

La question l’avait évidemment blessé.

— Entends-tu, Arcade Nikolaïévitch ? Et pourtant,