Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/200

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ment à quelque grand malheur et se mettait à pleurer, sitôt qu’elle se souvenait de quelque chose de triste… Les femmes de cette espèce commencent à devenir rares ; Dieu sait s’il faut s’en réjouir !

Aussitôt levé, Arcade ouvrit la fenêtre, et le premier objet qui frappa ses yeux fut Vassili Ivanovitch vêtu d’une robe de chambre tartare, avec un mouchoir de poche en guise de ceinture, qui travaillait dans le potager. Ayant remarqué son jeune hôte, il s’appuya sur sa bêche et lui cria :

— Salut ! comment avez-vous passé la nuit ?

— Fort bien ; répondit Arcade.

— Vous voyez devant vous une sorte de Cincinnatus ; reprit le vieillard ; je prépare une couche pour les raves d’automne. Nous vivons dans un temps (et je suis bien loin de m’en plaindre) où chacun est obligé de se soutenir de ses propres mains ; il n’y a pas à compter sur les autres ; il faut travailler soi-même. On a beau dire le contraire, Jean-Jacques Rousseau avait raison. Il y a une demi-heure, mon cher monsieur, vous m’auriez surpris dans une tout autre position que celle où vous me voyez. Une paysanne était venue me consulter pour une dyssenterie ; je lui ai… comment dirai-je cela ?… je lui ai introduit une dose d’opium ; à une autre j’ai arraché une dent. J’avais proposé à cette dernière de se faire éthériser, mais elle n’y a pas consenti. Il est bien entendu que je fais tout cela gratuitement, — an amater. Au reste, je n’ai pas à en rougir ; je suis un plébéien, homo novus ;