Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/220

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lisait aussi une tristesse mélangée de curiosité et de peur, et aussi de je ne sais quels humbles reproches. Au reste, Bazarof s’occupait fort peu de ce que pouvaient exprimer les yeux de sa mère, il ne lui parlait presque pas et se bornait à lui adresser des questions très-brèves. Cependant il lui demanda sa main dans l’espoir que cela lui porterait bonheur. Arina Vlassievna mit sa petite main douce et molle dans la large et rude main de son fils.

— Eh ! bien ? lui demanda-t-elle au bout d’un instant, cela a-t-il fait son effet ?

— Cela va encore plus mal, lui répondit-il avec un sourire insouciant.

— Monsieur joue beaucoup trop hardiment, dit le père Alexis d’un ton de compassion et en caressant sa belle barbe.

— C’est à la manière de Napoléon, répondit Vassili Ivanovitch, et il joua un as.

— Et c’est à cette manière que Napoléon doit d’être mort à l’île de Sainte-Hélène, reprit le père Alexis en coupant l’as avec un atout.

— Eniouchenka, veux-tu un verre d’eau de groseilles ? demanda Anna Vlassievna à son fils.

Bazarof se contenta de hausser les épaules.

— Non, dit-il le lendemain à Arcade, je partirai d’ici. Je m’ennuie ici, j’ai envie de travailler et il m’est impossible de rien faire. Je vais retourner chez vous, où j’ai laissé toutes mes préparations. On peut du moins être seul quand on veut dans votre maison.