Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/79

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le sens commun. Mais c’est sans doute moi qui suis bête.

— Tu n’as pas oublié ton allemand ? demanda Paul.

— Non…

Paul tourna le livre dans ses mains, en regardant son frère à la dérobée. Ils se taisaient l’un et l’autre.

— À propos, dit Kirsanof qui voulait changer de conversation, j’ai reçu une lettre de Koliazine.

— De Matvei Ilitch ?

— Oui. Il est arrivé à X… pour passer l’inspection du gouvernement. C’est maintenant un personnage ; il me dit qu’en sa qualité de parent il désire beaucoup nous voir, et m’invite à me rendre à la ville avec toi et Arcade.

— Iras-tu ? demanda Paul.

— Non ; et toi ?

— Moi, non plus. Je ne vois pas la nécessité de me traîner à cinquante verstes pour ses beaux yeux. Matthieu veut se montrer à nous dans toute sa gloire ; que le diable l’emporte ! Il devrait se contenter de l’encens administratif. Le voilà conseiller intime ; la belle affaire ! Si j’avais continué à servir, à porter le collier de misère, je serais maintenant général aide de camp ; d’ailleurs nous sommes sous la remise.

— Oui, mon frère. Il est temps, à ce qu’il paraît, de nous commander des cercueils et de nous croiser les bras sur la poitrine, dit Kirsanof avec un soupir.