Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/80

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— Quant à moi, je ne me rendrai pas si facilement, reprit Paul ; j’aurai encore une bataille avec ce beau docteur ; tu peux y compter.

La bataille eut lieu le soir même pendant que l’on prenait le thé. Paul était descendu dans le salon, déjà tout irrité et prêt au combat. Il n’attendait qu’un prétexte pour se jeter sur l’ennemi ; mais l’attente fut longue. Bazarof parlait habituellement peu en présence des « deux vieux, » comme il nommait les deux frères ; d’ailleurs il se sentait ce soir-là mal disposé et avalait une tasse après l’autre dans le plus complet silence. Paul était dévoré d’impatience ; il finit cependant par trouver l’occasion qu’il cherchait.

On se mit à causer d’un propriétaire du voisinage.

— C’est un cornichon, un méchant aristocrate, dit paisiblement Bazarof qui l’avait connu à Pétersbourg.

— Permettez-moi de vous demander, lui dit Paul, dont les lèvres tremblaient, si les mots de cornichon et d’aristocrate sont, suivant vous, synonymes ?

— J’ai dit « méchant aristocrate, » répondit Bazarof en aspirant négligemment son thé.

— C’est vrai ; mais je suppose que vous mettez les aristocrates et les méchants aristocrates sur le même pied. Je crois devoir vous prévenir que telle n’est pas mon opinion. J’ose dire que je suis généralement reconnu pour un homme libéral et aimant le progrès ; mais c’est précisément pour cela que j’estime les aristocrates, les véritables aristocrates. Rappelez-vous,