Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/122

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prirent la chute du ministre de l’intérêt général. Paix allait être enfin rendue au régime du privilège et du monopole. On s’en applaudit avec indécence à la cour ; et l’on s’en félicita hautement dans les promenades et dans les lieux publics. Un petit

    bien il m’était impossible de servir utilement dans cette place, et par conséquent d’y rester, si vous m’y laissiez seul et sans secours. Votre Majesté savait que je ne pouvais y être retenu que par mon attachement pour sa personne. J’espérais qu’elle daignerait me faire connaître elle-même ses intentions.

    Je ne lui dissimulerai pas que la forme dans laquelle elle me les a fait notifier m’a fait ressentir dans le moment une peine très-vive. Votre Majesté ne se méprendra pas sur le principe de cette impression, si elle a senti la vérité et l’étendue de l’attachement que je lui ai voué.

    Si je n’envisageais que l’intérêt de ma réputation, je devrais peut-être regarder mon renvoi comme plus avantageux qu’une démission volontaire ; car bien des gens auraient pu regarder cette démission comme un trait d’humeur déplacé. D’autres auraient dit qu’après avoir entamé des opérations imprudentes et embarrassé les affaires, je me retirais au moment où je ne voyais plus de ressource : d’autres, persuadés qu’un honnête homme ne doit jamais abandonner sa place quand il y peut faire quelque bien, ou empêcher quelque mal, et ne pouvant pas juger comme moi de l’impossibilité où j’étais d’être utile, m’auraient blâmé par un principe honnête, et moi-même j’aurais toujours craint d’avoir désespéré trop tôt, et d’avoir mérité le reproche que je faisais à M. de Malesherbes. Du moins étant renvoyé, j’ai la satisfaction de n’avoir pas un remords à sentir, pas un reproche à essuyer.

    J’ai fait. Sire, ce que j’ai cru de mon devoir, en vous exposant avec une franchise sans réserve et sans exemple les difficultés de la position où j’étais, et ce que je pensais de la vôtre. Si je ne l’avais pas fait, je me serais cru coupable envers vous. Vous en avez sans doute jugé autrement, puisque vous m’avez retiré votre confiance ; mais, quand je me serais trompé, vous ne pouvez pas, Sire, ne point rendre justice au sentiment qui m’a conduit.

    Tout mon désir, Sire, est que vous puissiez toujours croire que j’avais mal vu, et que je vous montrais des dangers chimériques. Je souhaite que le temps ne me justifie pas, et que votre règne soit aussi heureux, aussi tranquille et pour vous, et pour vos peuples, qu’ils se le sont promis d’après vos principes de justice et de bienfaisance.

    Il me reste, Sire, une grâce à vous demander, et j’ose dire que c’est moins une grâce qu’une justice.

    Le bien le plus précieux qui me reste à conserver est votre estime. J’y aurai toujours des droits. On travaillera certainement à me la faire perdre. On essayera de noircir dans votre esprit et mon administration et moi-même, soit en inventant des faits faux, soit en déguisant et envenimant des faits vrais. On peut faire parvenir journellement à Votre Majesté une foule de récits adroitement circonstanciés, où l’on aura su donner à la calomnie l’air de la plus grande vraisemblance. Votre