Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/123

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nombre d’hommes éclairés tremblèrent seuls pour l’avenir, et la plume de Voltaire, interprète de leurs sentiments, protesta contre la disgrâce du ministre par l’Épître à un homme.

« Le 12 mai 1776, jour du renvoi de Turgot », dit un historien, dont le cœur et l’intelligence ont dignement apprécié le caractère et les opérations de ce grand homme, « est une des époques les plus fatales pour la France. Ce ministre supérieur à son siècle voulait faire sans secousse, par la puissance d’un roi législateur, les changements qui pouvaient seuls nous garantir des révolutions. Ses contemporains, égoïstes et superficiels, ne le comprirent point ; et nous avons expié, par de longues calamités, leur dédain pour les vertus et les lumières de cet homme d’État[1]. »

Après Turgot, vinrent Clugny, Taboureau, Necker, Joly de Fleury, d’Ormesson, Galonné, Brienne, puis le banquier Necker encore ; mais ce n’étaient pas de tels hommes qui pouvaient conjurer la tempête révolutionnaire, et les destins s’accomplirent.

Presque toutes les réformes opérées par Turgot disparurent sous ses successeurs. Mais ce qu’ils n’eurent pas la puissance d’anéantir, ce fut l’esprit qui les avait dictées et qui devait, malgré tous leurs efforts, fonder en France le prin-

    Majesté les dédaignera peut-être d’abord ; mais, à force de les multiplier, on fera naître à la fin dans son esprit des doutes, et la calomnie aura rempli son objet, sans que j’aie pu parer ses coups que j’aurai ignorés.

    Je ne la crains point, Sire, tant que je serai mis à portée de la confondre. Je ne puis plus avoir de défenseur auprès de Votre Majesté, qu’elle-même. J’attends de sa justice qu’elle ne me condamnera jamais dans son cœur sans m’avoir entendu, et qu’elle voudra bien me faire connaître toutes les imputations qui me seront faites auprès d’elle ; je lui promets de n’en laisser passer aucune sans lui en prouver la fausseté, ou sans lui avouer ce qu’elle pourra contenir de vrai ; car je n’ai pas l’orgueil de croire que je n’aie jamais fait de fautes. Ce dont je suis sûr, c’est qu’elles n’ont été ni graves, ni volontaires.

    J’ose prier encore Votre Majesté de vouloir bien faire passer cette communication par M. d’Angiviller, dont elle connaît l’honnêteté et la discrétion, et sur l’amitié duquel je puis compter.

    Il veut bien se charger de mes lettres, et me mande que Votre Majesté l’a trouvé bon.

    Permettez-moi, Sire, de vous en témoigner ma reconnaissance.

    Je suis avec le plus profond respect, etc.

    * Quelle était la démarche dont parle Turgot ? — C’est ce que n’explique aucun historien, à moins toutefois qu’il ne s’agisse ici, ce qui paraît assez vraisemblable du reste, de l’anecdote suivante :

    « Turgot avait obtenu de Louis XVI la promesse qu’aucune ordonnance de comptant ne serait délivrée pendant un certain temps. Peu de jours après, un bon de 500,000 livres, au nom d’une personne de la cour, est présenté au Trésor. Turgot va prendre les ordres du roi et lui rappelle la parole qu’il en avait reçue. « On m’a surpris, dit le roi. — Sire, que dois-je faire ? — Ne payez pas. » Le ministre obéit : sa démission suivit de trois jours le refus de payement. » (M. Bailly, Histoire financière, tome II, page 224.)

  1. M. Droz, Histoire du règne de Louis XVI, tome I, page 210.