Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/166

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d’avance, soit pour se procurer les matières sur lesquelles ils travaillaient, soit pour vivre en attendant le payement de leur salaire.

§ LXI. — Développements sur l’usage des avances de capitaux dans les entreprises d’industrie, sur leur rentrée, et sur le profit qu’elles doivent donner.

Dans les premiers temps, celui qui faisait travailler fournissait lui-même la matière, et payait jour par jour le salaire de l’ouvrier. Le cultivateur ou le propriétaire remettait lui-même à la fileuse le chanvre qu’il avait recueilli, et la nourrissait pendant qu’elle travaillait ; il passait ensuite le fil au tisserand, auquel il donnait chaque jour le salaire convenu ; mais ces avances légères et journalières ne peuvent suffire que pour des travaux d’une manœuvre grossière. Un grand nombre d’arts, et même des arts à l’usage des membres les plus pauvres de la société, exigent que la même matière soit ouvrée par une foule de mains différentes, et subisse très-longtemps des préparations aussi difficiles que variées. — J’ai cité déjà la préparation des cuirs dont on fait des souliers : quiconque a vu l’atelier d’un tanneur, sent l’impossibilité absolue qu’un homme, ou même plusieurs hommes pauvres s’approvisionnent de cuirs, de chaux, de tan, d’outils, etc., fassent élever les bâtiments nécessaires pour monter une tannerie, et vivent pendant plusieurs mois jusqu’à ce que les cuirs soient vendus. Dans cet art et dans beaucoup d’autres, ne faut-il pas que ceux qui travaillent aient appris le métier avant d’oser toucher la matière, qu’ils gâteraient dans leurs premiers essais ? Voilà encore une nouvelle avance indispensable. Qui donc rassemblera les matières du travail, les ingrédients et les outils nécessaires à la préparation ? Qui fera construire des canaux, des halles, des bâtiments de toute espèce ? Qui fera vivre jusqu’à la vente des cuirs ce grand nombre d’ouvriers dont aucun ne pourrait seul préparer un seul cuir, et dont le profit sur la vente d’un seul cuir ne pourrait faire subsister un seul ? Qui subviendra aux frais des élèves et des apprentis ? Qui leur procurera de quoi subsister jusqu’à ce qu’ils soient instruits en les faisant passer par degrés d’un travail facile et proportionné à leur âge, jusqu’aux travaux qui demandent le plus de force et d’habileté ? Ce sera un de ces possesseurs de capitaux ou de valeurs mobiliaires accumulées qui les emploiera, partie aux avances de la construction et des achats de matières, partie aux salaires des ouvriers qui travaillent à leur préparation. C’est lui qui attendra que la vente des cuirs lui rende