Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/268

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proportionnés à leurs risques. Leur véritable crime est donc non pas d’être usuriers, mais de faciliter et d’encourager pour un vil intérêt les désordres des jeunes gens, et de les conduire à l’alternative de se ruiner ou de se déshonorer. S’ils doivent être punis, c’est à ce titre, et non à cause de l’usure qu’ils ont commise.

XXXIII. — La défense de l’usure n’est point le remède qu’il faut apporter
à ce désordre, et d’autres lois y pourvoient suffisamment.

Les lois contre l’usure proprement dite ne sont donc d’aucune utilité pour arrêter ce désordre, qui est punissable par lui-même ; elles ne sont pas même utiles pour obvier à la dissipation de la fortune des jeunes gens qui ont emprunté de cette manière ruineuse, par la rupture de leurs engagements ; car, sans examiner s’il est vraiment utile que la loi offre contre des engagements volontaires des ressources dont il est honteux de profiter (question très-susceptible de doute), la loi qui déclare les mineurs incapables de s’engager rend superflue toute autre précaution. Ce ne sont pas ordinairement les personnes d’un âge mûr qui se ruinent de cette manière, et en tout cas c’est à eux et non pas à la loi à s’occuper du soin de conserver leur patrimoine. Au reste, le plus sur rempart contre la dissipation des enfants de famille sera toujours la bonne éducation que les parents doivent leur donner.

XXXIV. — Conséquences de ce qui a été dit sur les vraies causes de la défaveur du prêt à intérêt, et sur les changements arrivés à cet égard dans les mœurs publiques.

Après avoir prouvé la légitimité du prêt à intérêt par les principes de la matière, et après avoir montré la frivolité des raisons dont on s’est servi pour le condamner, je n’ai pas cru inutile de développer les causes qui ont répandu sur le prêt à intérêt cet odieux et cette défaveur, sans lesquels ni les théologiens ni les jurisconsultes n’auraient pas songé à le condamner. Mon objet a été d’apprécier exactement les fondements de cette défaveur, et de reconnaître si en effet le prêt à intérêt produit dans la société des maux que les lois doivent chercher à prévenir, et qui doivent engager à le proscrire. Il résulte, ce me semble, des détails dans lesquels je suis entré, que ce qui rendait l’usure odieuse dans les anciens temps, tenait plus au défaut absolu du commerce, à la constitution des anciennes sociétés et surtout aux lois qui permettaient au créancier de réduire son débiteur en esclavage, qu’à la nature même du prêt à intérêt. Je crois