Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/269

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avoir prouvé encore que par les changements survenus dans le commerce, dans les mœurs et dans la constitution des sociétés, le prêt à intérêt ne produit dans la société aucun mal qu’on puisse imputer à la nature de ce contrat ; et que, dans le seul cas où les pratiques usuraires sont accompagnées de quelque danger réel, ce n’est point dans l’usure proprement dite que résident le crime et le danger, et que les lois peuvent y pourvoir sans donner aucune restriction à la liberté du prêt à intérêt.

XXXV. — Conséquence générale : aucun motif ne doit porter à défendre le prêt à intérêt.

Je suis donc en droit de conclure qu’aucun motif solide ne pourrait aujourd’hui déterminer la législation à s’écarter, en proscrivant le prêt à intérêt, des principes du droit naturel qui le permettent. Car tout ce qu’il n’est pas absolument nécessaire de défendre, doit être permis.

XXXVI. — L’intérêt est le prix de l’argent dans le commerce, et ce prix doit être abandonné au cours des événements, aux débats du commerce.

Si l’on s’en tient à l’ordre naturel, l’argent doit être regardé comme une marchandise que le propriétaire est en droit de vendre ou de louer ; par conséquent la loi ne doit point exiger, pour autoriser la stipulation de l’intérêt, l’aliénation du capital. Il n’y a pas plus de raison pour qu’elle fixe le taux de cet intérêt. Ce taux doit être, comme le prix de toutes les choses commerçables, fixé par le débat entre les deux contractants et par le rapport de l’offre à la demande. Il n’est aucune marchandise sur laquelle l’administration la plus éclairée, la plus minutieusement prévoyante et la plus juste, puisse se répondre de balancer toutes les circonstances qui doivent influer sur la fixation du prix et d’en établir un qui ne soit pas au désavantage ou du vendeur ou de l’acheteur. Or, le taux de l’intérêt est encore bien plus difficile à fixer que le prix de toute espèce de marchandise, parce que ce taux tient à des circonstances et à des considérations plus délicates encore et plus variables, qui sont celle du temps où se fait le prêt, et celle de l’époque à laquelle le remboursement sera stipulé, et surtout celle du risque ou de l’opinion du risque que le capital doit courir. Cette opinion varie d’un instant à l’autre ; une alarme momentanée, l’événement de quelques banqueroutes, des bruits de guerre, peuvent répandre une inquiétude générale, qui enchérit su-