Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À cette leçon sur le crédit succède une autre, qui n’est pas moins irréprochable, sur la monnaie. Si l’on en compare le texte aux idées émises, à la même époque et sur la même matière, par Montesquieu, dans l’Esprit des lois, il sera facile de se convaincre que le rapprochement ne tourne pas à l’avantage du grand publiciste qui venait d’assurer à son nom l’éternel hommage de la postérité. Sans doute Montesquieu, quoiqu’il définisse la monnaie : un signe qui représente la valeur de toutes les marchandises[1], n’est pas tombé dans les erreurs monstrueuses de l’abbé Terrasson ; sans doute, encore, il n’a pas mérité le reproche trop dur de n’avoir rien entendu à la théorie des instruments de l’échange[2] ; mais cependant il faut convenir qu’il y a loin, de ses concepts vagues et hasardés sous ce rapport, aux théorèmes lumineux et positifs de Turgot. On voit dans le dernier un écrivain complètement maître de son sujet, et dans le premier un homme de génie dont l’intelligence s’est aventurée hors de ses domaines.

La doctrine, que la monnaie est un signe, doctrine moins singulière à coup sûr que son application, dont il avait l’exemple sous les yeux, avait amené l’académicien défenseur du système à s’exprimer ainsi : « Qu’importe que le signe soit d’argent ou de papier ? Ne vaut-il pas mieux choisir une matière qui ne coûte rien, qu’on ne soit pas obligé de retirer du commerce où elle est employée comme marchandise, enfin qui se fabrique dans le royaume, et qui ne nous mette pas dans une dépendance nécessaire des étrangers et possesseurs

  1. Esprit des lois, livre XXII, chapitre ii.
  2. J.-B. Say, Cours d’économie politique, tome I, page 382, seconde édition. — Say fait suivre ce reproche de ces mots : « Et j’ajouterai que personne n’y entendait plus que lui, jusqu’à Hume et Smith. » Il nous semble qu’ici l’illustre économiste se laisse emporter beaucoup trop loin par sa juste admiration pour le philosophe de Glascow. On trouve, longtemps avant Smith, des idées justes émises sur la nature et la fonction de la monnaie. L’écrit de Turgot, que nous citons, en est une preuve ; son Mémoire sur les valeurs et monnaies une autre, et une autre encore, le Prospectus d’un nouveau Dictionnaire du commerce, par l’abbé Morellet. Et quant à Hume, on ne peut certainement pas le comparer, comme économiste, ni à Turgot, ni à Morellet. Law n’était pas non plus un ignorant en cette matière.