Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/373

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qui habite l’autre province. Avec cette somme et ce que peuvent gagner sa femme et ses enfants, il est à portée de nourrir et d’entretenir sa famille, tandis que la femme et les enfants du Limousin vivront d’aumônes ou mourront de faim. Ce n’est pas exagérer que de regarder l’avantage d’être à l’abri de ce danger comme inappréciable pour le consommateur salarié ; or, cet avantage, il le doit à l’augmentation du prix habituel des grains, par laquelle ils se sont rapprochés du prix du marché général. Je suis bien er » droit d’en conclure que l’augmentation du prix des grains non-seulement n’est pas funeste, mais qu’elle est au contraire infiniment avantageuse au consommateur, et que par conséquent, soit que le prix moyen des grains augmente ou n’augmente pas, le consommateur salarié gagne à la liberté du commerce des grains, qu’il y gagne même plus encore quand les grains augmentent pour se rapprocher du prix du marché général[1]. J’ai donc prouvé qu’il n’y a aucune opposition entre l’intérêt des cultivateurs et des propriétaires et l’intérêt des consommateurs ; que la liberté du commerce est avantageuse pour tous, et plus avantageuse encore, plus nécessaire pour le consommateur, qu’elle seule peut sauver du danger de mourir de faim. C’est, je pense, avoir rempli l’engagement que j’avais pris avec vous en commençant ma cinquième lettre.

Je vais encore ajouter quelques réflexions utiles pour l’entier éclaircissement de cette matière.

On serait tenté de conclure du raisonnement que j’ai développé en dernier lieu, que l’avantage du cultivateur et celui du consommateur seraient d’autant plus grands que le prix des grains, toujours avec le moins de variations possible, serait plus haut. Cette conséquence serait fausse. Le plus grand avantage possible pour l’un et pour l’autre est que les grains soient au taux du marché général ; si les prix montent plus haut, l’avantage diminue et finit par se changer en désavantage. Il est vrai que le désavantage d’un prix trop haut est moindre que celui d’un prix trop bas, mais il est

  1. Il est important de faire observer que ce que dit ici Turgot ne signifie pas le haut prix du blé, mais seulement l’augmentation résultant de l’accroissement général de la richesse.

    On a tant abusé de ces sortes de raisonnements, on a tant de fois, depuis les physiocrates, répété, sans le comprendre, qu’il est utile à un pays que les blés soient chers, que nous Dc saurions trop prémunir le lecteur contre cette interprétation. (Hte D.)