Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/374

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réel. Cet état avec la liberté entraînerait une importation habituelle au préjudice de la culture nationale, et serait suivi d’une nouvelle révolution en sens contraire sur les prix, qui détruirait tout le bien qu’aurait fait l’augmentation. L’état de pleine prospérité pour une nation est celui où le prix des grains, et en général celui de toutes ses marchandises, est au niveau des prix du marché général ; c’est l’état où il n’y a ni importation ni exportation habituelles, mais où les importations dans les mauvaises années et les exportations dans les bonnes se balancent à peu près. Je ne m’occuperai pas de développer ici les preuves de cette proposition ; elles exigeraient des discussions assez délicates et très-étendues, dont je dois d’autant plus m’abstenir que vous n’avez pas besoin d’être détourné du projet de faire hausser le prix des grains à un taux au-dessus de celui du marché général. Je m’y livrerais en Angleterre, où l’établissement de la gratification pour les grains exportés semble avoir été dirigé à ce but.

Mais je ne dois pas omettre une conséquence de la remarque que je viens de faire sur le désavantage qu’entraîne pour le consommateur un prix habituel trop bas. Cette conséquence est que, malgré la liberté du commerce, il peut y avoir lieu encore à des inégalités dans les prix, à de véritables chertés très-onéreuses aux consommateurs, tant que le prix habituel de leur subsistance sera au-dessous de celui du marché général[1]. Or, cet état durera jusqu’à ce que la liberté du commerce ait enrichi les provinces de l’intérieur au point de procurer au peuple une véritable aisance et l’ait mis en état de multiplier ses consommations et de vivre de denrées d’une meilleure qualité. Or, pour atteindre ce but, il faut du temps, il faut que le commerce soit animé par une liberté ancienne et consolidée. J’ai observé que, par une suite de circonstances sur lesquelles on n’avait pas du compter, le prix des grains avait atteint un taux d’où il ne descendrait vraisemblablement que pour se fixer à un point peu éloigné de celui du marché général ; mais cette fixation avantageuse du prix des grains ne suffit pas pour consommer la révolution dont

  1. Le prix habituel trop bas signifie ici un prix au-dessous de celui qu’atteint le blé, eu moyenne, sur tous les marchés de l’Europe. — Il est clair que si le blé est habituellement plus bas en une contrée qu’en une autre, l’établissement du régime de la liberté doit rehausser les prix dans cette contrée ; cette hausse a tous les effets des soubresauts que signale Turgot. — Ce n’est pas le prix très-bas qui est cause du mal, c’est le passage de ce prix très-bas à un prix plus élevé. (Hte D.)