Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/528

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au passage toutes les richesses des citoyens, et tout cela par un bien grossier malentendu. Car pourquoi tant de ruses, lorsque toutes les véritables richesses sont, comme on dit, au soleil[1] ?

Le centième denier prend une portion de la propriété même. Cependant, quand on s’est assujetti à payer des impositions pour la conservation de la société dont on est membre, ce n’a été que pour conserver la propriété, et non pour la perdre.

Il y a sans doute des cas où l’on consentirait à sacrifier une partie de sa propriété pour sauver le reste ; mais ce ne saurait être le cas ordinaire. On veut avoir une jouissance assurée et constante, et on veut aussi que ce qu’on sacrifice soit constant. C’est donc sur le revenu que l’imposition doit porter, et non sur les capitaux.

D’ailleurs, l’État a le plus grand intérêt à conserver la masse des capitaux. C’est cette masse qui fournit aux avances de toutes les entreprises de culture et de commerce, et aux acquisitions des biens-fonds. Ces capitaux se forment par les voies lentes de l’économie. Se faire payer à titre de revenus de l’État une partie de ces capitaux, tous accumulés pour les avances nécessaires au travail, c’est détruire en partie la source de ces mêmes revenus.

Après avoir conclu que l’imposition directe sur les fonds est la seule imposition conforme aux principes, il faut établir d’abord sur quelle partie du produit des fonds elle doit porter ; ensuite comment elle peut être répartie et perçue.

J’ai déjà dit qu’il n’y avait que le propriétaire de biens-fonds qui dût contribuer à l’imposition ; une première raison est que lui seul a intérêt à conserver l’ordre permanent de la société. Qu’importe à l’homme industrieux ce que devient le gouvernement ? Avec ses bras il aura toujours les mêmes ressources : il lui est parfaitement indifférent que ce soit Pierre ou Jacques qui fasse travailler. Une seconde raison, et la plus péremptoire, c’est que le propriétaire de fonds est le seul qui ait un véritable revenu.

  1. L’intervention et la fatale vigilance des fermiers (de l’impôt) fait-elle accroître les produits ? La valeur vénale donne aux produits la qualité de richesse, et cette valeur vénale est apportée par le commerce. Les fermiers amènent-ils le commerce ? Ce sont au contraire ses pires ennemis, comme nous venons de le voir. S’ils découvrent un filét de commerce, ils ne tendent qu’à asseoir dessus un droit de péage, qu’à l’arrêter par cent formalités insidieuses. Toute la vivification donc qu’ils apportent sur le territoire de l’État, est celle que la vue d’un oiseau de proie donne à une basse-cour ; tout s’agile, tout s’écarte, tout se cache, tout fuit. (Mirabeau, Théorie de l’impôt.)