Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/529

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M. Quesnay en a le premier fixé la juste idée, en apprenant à distinguer le produit brut du produit net, et à ne pas comprendre dans le produit net les profits du cultivateur, qui sont l’attrait, la cause unique et indispensable de la culture ; car pourquoi le cultivateur travaillerait-il, s’il ne pouvait pas compter sur son légitime gain ? Et ne travaillera-t-il pas avec d’autant plus d’ardeur et de succès, qu’il sera assuré de ne pas perdre sa peine ?

Une terre peut produire des denrées en assez grande quantité, et ne donner aucun produit net ; il suffit pour cela de supposer qu’elle coûte plus à labourer que les fruits ne peuvent se vendre.

On sait qu’une terre fumée et labourée au point d’être rendue meuble comme la terre d’une fourmilière donne des produits prodigieux ; mais si pour travailler ainsi la terre il faut employer la bêche et un grand nombre de journées d’hommes, cette production peut devenir onéreuse. Si la quantité des produits est telle que la consommation n’y réponde pas et qu’ils n’aient aucune valeur vénale[1], le revenu sera nul malgré l’abondance des productions. Quand la pierre philosophale serait trouvée, l’inventeur n’en serait pas plus riche s’il ne pouvait faire de l’or pour cent louis qu’en dépensant la valeur de cent louis en charbon, et s’il lui en coûtait cent un louis, il quitterait certainement le métier.

Cette vérité est bien connue ; mais ce qui n’avait pas été si bien senti, c’est la nécessité, tout aussi grande, de soustraire pareillement du produit brut les reprises et les frais du cultivateur, aiin d’arriver à connaître le produit net.

M. Quesnay a développé le mécanisme de la culture, toute fondée sur de très-grosses avances primitives, et demandant annuellement d’autres avances également nécessaires. Il faut donc prélever sur la vente des produits : 1o les frais ou avances annuelles en totalité ; 2o l’intérêt des avances primitives ; 3o leur entretien, et le remplacement de leur dépérissement inévitable, au moins égal à l’intérêt ; ï° la subsistance et le profit honnête du cultivateur en chef et de ses agents, le salaire de leur travail et de leur industrie.

Le cultivateur a fait ce calcul quand il afferme une terre : c’est le

  1. L’école de Quesnay appelait valeur vénale ce que Smith nomme valeur en échange. (E. D.)