Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/114

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Il faudrait tenir des états exacts des voitures et des bestiaux de chaque espèce qui sont dans chaque paroisse, afin de faire marcher chacun à tour de rôle. Il faudrait former un état pour les bêtes de trait, un pour les bêtes de selle ; y conformer les différents commandements par ordre de numéros ; reprendre ceux qui ont passé leur tour pour des excuses valables ; passer par-dessus ceux qui l’ont devancé pour suppléer aux délinquants, ou dans des occasions imprévues. Un homme très-intelligent aurait besoin de toute son attention pour suivre ces détails avec l’exactitude convenable, et l’on n’a, pour les exécuter, que des paysans parmi lesquels il est rare d’en trouver qui sachent lire.

Il ne suffirait même pas d’avoir fait ces états et de les vérifier tous les ans ; c’est encore une des suites de In culture à bœufs, que le nombre des bestiaux varie sans cesse dans chaque paroisse, parce qu’ils sont l’objet d’un commerce continuel. On les achète maigres, on les fait travailler quelque temps, après quoi on les engraisse et on les vend gras pour en racheter d’autres, ce qu’on ne fait souvent qu’à l’instant précis où l’on en a besoin pour le travail, en sorte qu’il y a tel moment où un domaine du labourage de deux bœufs n’en a point du tout. Les bœufs à l’engrais donnent encore lieu à un très-grand embarras. Il est certain qu’ils sont hors d’état de soutenir aucune fatigue, et que si on les commande on court risque de les faire périr. D’un autre côté, si on ne les commande pas, chacun prétendra que les bœufs qu’on lui demande sont à l’engrais, et chaque commandement deviendra un procès à juger entre les propriétaires et le syndic. Tout cela s’arrange, je le sais bien ; mais tout cela s’arrange au hasard, et sans égard pour la justice : les principaux bourgeois sont ménagés, les faibles sont écrasés ; ils se plaignent inutilement, parce qu’il est impossible de juger si leurs plaintes sont bien ou mal fondées, et ils se lassent à la fin de se plaindre.

On doit compter encore pour beaucoup la difficulté de contenir les troupes dans les bornes et la modération prescrites par les ordonnances.

Le nombre des voitures qui doivent être fournies à raison de la force de chaque troupe est fixé ; le poids dont on peut les charger est spécifié ; mais les officiers exigent presque toujours plus qu’il ne leur est dû, et il est d’autant plus rare que les consuls des lieux de