Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/115

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passage aient la fermeté de leur résister, qu’ils n’y mettent pas pour l’ordinaire un grand intérêt. Il est défendu d’exiger aucuns chevaux de trait pour leurs chaises, et j’ai vu plus d’un exemple d’officiers qui, ayant demandé des chevaux de selle, ont, à force de menaces et de coups, obligé les conducteurs de les atteler à des chaises, au risque d’estropier des chevaux faibles et qui n’avaient jamais tiré. Souvent des soldats à qui il est accordé, suivant leur route, un cheval gratis, se font payer par le propriétaire du cheval pour le dispenser d’exécuter le commandement. Ils font la route à pied et se font donner, en arrivant, l’étape du cheval et du conducteur. Il est encore très-fréquent que, pendant la route, les soldats se jettent sur les voitures déjà très-chargées ; d’autres fois, impatientés de la lenteur des bœufs, ils les piquent avec leurs épées ; et, si le paysan veut faire quelque représentation, vous imaginez bien que la dispute tourne toujours à son désavantage, et qu’il revient accablé de coups. Lorsque ces mauvais traitements peuvent être constatés, on en dresse des procès-verbaux, on les envoie au ministre de la guerre, qui condamne l’officier conducteur à des dédommagements ; mais vous sentez, monsieur, combien il doit être difficile de vérifier les faits avec assez de précision pour pouvoir demander cette satisfaction : aussi peut-on bien assurer que la plus grande partie des vexations de ce genre demeurent impunies. Le moyen que j’ai eu l’honneur de vous proposer rend tous ces abus impossibles, parce qu’un entrepreneur connu, et instruit avec précision de ce qu’on a droit d’exiger de lui, n’est pas, comme un paysan, livré sans défense à la vexation ; il sait à qui il doit porter ses plaintes, et on peut toujours lui rendre justice.

Voilà, monsieur, bien des détails pour démontrer une chose dont l’évidence est sensible pour peu qu’on y fasse attention ; mais il semble que le gouvernement ait ignoré pendant longtemps combien il est important de ne pas immoler la liberté des sujets du roi aux caprices et aux vexations de quelques particuliers, puisqu’il n’est aucune partie de l’administration où l’on ne soit pas tombé dans cette faute, par l’esprit d’économie le plus mal entendu qui fut jamais. J’aurai plus d’une occasion de vous mettre sous les yeux des abus de ce genre. En attendant, les observations que je viens d’avoir l’honneur de vous proposer peuvent servir, par leur trivialité même, à prouver combien il est avantageux au gouvernement