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Chapitre II. — De la jurisprudence des mines, considérée par rapport
à l’avantage de l’État.

Je dois maintenant examiner si le plus grand avantage de l’État a dû ou doit déterminer l’autorité législative à modifier ou res-

    « Art. 5. Les mines ne peuvent être exploitées qu’en vertu d’un acte de concession délibéré en Conseil d’État.

    « Art. 6. Cet acte régie les droits des propriétaires de la surface sur le produit des mines concédées.

    « Art. 7. Il donne la propriété perpétuelle de la mine, laquelle est dès lors disponible et transmissible comme tous les autres biens, et dont on ne peut être exproprié que dans les cas et selon les formes prescrites pour les autres propriétés, conformément au Code civil et au Code de procédure civile.

    « Toutefois, une mine ne peut être vendue par lots ou partagée sans une autorisation préalable du gouvernement, donnée dans les mêmes formes que la concession.

    « Art. 10. Nul ne peut faire des recherches pour découvrir des mines, enfoncer des sondes ou tarières sur un terrain qui ne lui appartient pas, que du consentement du propriétaire de la surface, ou avec l’autorisation du gouvernement, donnée après avoir consulté l’administration des mines, à la charge d’une préalable indemnité envers le propriétaire, et après qu’il aura été entendu. »

    Il est facile d’apercevoir qu’on a voulu, par l’ensemble de ces dispositions, concilier, comme dans la loi de 1794, deux principes contraires, le droit régalien et celui de la propriété individuelle. Mais le nouvel hommage rendu à cette dernière n’est pas moins illusoire que le précédent. Un droit de propriété dont l’effet dépend de la volonté du souverain, et dont l’usage n’est possible que dans la forme et dans la mesure par lui prescrites, est une chimère : or, il suffit de jeter les yeux sur les articles 5, 6 et 10 de la loi du 21 avril, pour se convaincre qu’ils n’organisent pas autre chose, et que le droit de la surface y est encore plus méconnu que dans la loi de 1791. À cet égard, il ne faut pas se laisser abuser par les termes de l’article 6, car, bien qu’ils semblent faire la part des propriétaires du sol dans le produit des mines concédées, la disposition ne saurait être prise au sérieux, puisqu’elle se borne à grever le tréfonds d’une redevance de quelques centimes par hectare, en faveur de la superficie.

    Il existe, toutefois, dans l’article 7, une modification importante au droit régalien, que reproduisait la loi de 1791 : c’est la perpétuité des concessions, qui n’étaient que temporaires avant 1789. Et cet heureux changement fut l’œuvre d’un homme qui, dans tout le cours de la discussion de la loi sur les mines, ne se montra pas moins supérieur aux jurisconsultes qui l’entouraient, par la sagesse de ses vues, qu’il ne l’était par le rang, la puissance et la gloire, nous voulons parler, on l’a deviné déjà, de l’Empereur.

    « Il y a un très-grand intérêt, dit Napoléon, à imprimer aux mines le cachet de la propriété. Si l’on n’en jouissait que par concession, en donnant à ce mot son acception ordinaire, il ne faudrait (pie rapporter le décret qui concède, pour dépouiller les exploitants ; au lieu que, si ce sont des propriétés, elles deviennent inviolables. Moi-même, avec les nombreuses armées qui sont à ma disposition, je ne pourrais néanmoins m’emparer d’un champ ; car violer le droit de propriété dans un seul, c’est le violer dans tous. Le secret ici est donc de faire des mines de véritables propriétés, et de les rendre par là sacrées dans le droit et dans le fait. »

    Et pourquoi Napoléon voulait-il imprimer aux mines le cachet de la propriété ? C’est que son admirable rectitude de jugement lui avait découvert, comme à Adam Smith, que l’intérêt individuel, tout en ne cherchant que son propre avantage, est