Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/152

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treindre ces principes, et à établir une jurisprudence différente.

On ne peut se refuser à une première réflexion, c’est que, si ce petit nombre de principes, dictés par la nature, suffit pour conserver à chacun ses droits, et pour procurer à l’État la plus grande

* Cet aphorisme n’est inexact que si on pousse ses conséquences jusqu’à l’absurde ; et, dans ce cas, les déductions prouvent, non la fausseté du principe, mais la sottise du raisonneur. Il a, du reste, été commenté par Napoléon lui-même dans une autre séance. « Je ne souffrirais pas, dit-il, qu’un particulier frappât de stérilité vingt lieues de terre dans un département fromenteux pour s’en former un parc. Le droit d’abuser ne va pas jusqu’à priver le peuple de sa subsistance. »

    conduit, par une main invisible, à accomplir le bien général de la société. Cette opinion, il l’exprime plusieurs fois au Conseil, non-seulement pour repousser le droit impérial, que tentaient de ressusciter les légistes, courtisans ou amoureux du Digeste, mais encore pour modérer leur ardeur de réglementation appuyée, comme toujours, sur le prétexte de l’intérêt public.

    Écoutons-le sur le premier point, d’abord :

    « Quoique les mines soient, dit-il, comme les autres biens, susceptibles de tous les droits que donne la propriété, ce ne sont cependant pas des propriétés de la même nature que la surface du sol et les propriétés qui en naissent. Ces sortes de propriétés doivent être régies par des lois particulières, et ceux-là seuls peuvent s’en prétendre propriétaires à qui la loi défère cette qualité. Mais, au delà, la propriété des mines doit rentrer entièrement sous le droit commun ; il faut qu’on puisse les vendre, les donner, les hypothéquer d’après les mêmes règles qu’on aliène ou qu’on engage une ferme, une maison, en un mot un immeuble quelconque ; il faut aussi que les contestations qui s’élèvent à ce sujet soient renvoyées devant les tribunaux. »

    Écoutons-le maintenant sur le second, sur les entraves que le Conseil s’efforce d’apporter à l’exploitation des mines concédées :

    « On doit toujours avoir présent à l’esprit, s’écrie-t-il, l’avantage de la propriété. Ce qui défend mieux le droit du propriétaire, c’est l’intérêt individuel ; on peut s’en rapporter à son activité ; ainsi, on peut faire quelques règlements qui donnent un droit de surveillance à l’autorité publique, mais on ne doit pas en faire qui s’opposent directement à ce que demandent les propriétaires. »

    Dans une autre séance il lui échappe ces paroles, qui scandaliseront peut-être les socialistes :

    « Qu’est-ce que le droit de propriété ? — C’est non-seulement le droit d’user, mais encore le droit d’abuser*.

    « Si donc le gouvernement oblige d’exploiter, ou fixe la manière dont chacun exploitera, il n’y a plus de propriété. En France, on est fidèle à ces principes. À la vérité on a des règlements sur les bois et sur les eaux, mais ce ne sont que des règlements de police. »

    Dans une autre, encore, il s’écrie :

    « Puisque les mines d’Angleterre prospèrent (sans ingénieurs), cet exemple prouve que les ingénieurs ne sont utiles que comme gens de l’art. On ne peut les faire intervenir dans l’administration, on effrayerait les propriétaires.

    « À force, ajoute-t-il, de multiplier les entraves, on fait marcher la France à grands pas vers la tyrannie. Depuis peu l’on a vu un préfet empêcher de bâtir une maison, parce que le propriétaire refusait de se conformer au plan adopté par ce préfet. La sûreté publique n’était là pour rien ; il ne s’agissait que des règles de l’art. »

    Ces vues si judicieuses, que l’Empereur résumait par ces paroles : « Il ne faut