Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/158

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ble de multiplier ces ouvertures pour chercher de nouvelles traces d’un filon interrompu, pour rendre l’extraction des matières moins dispendieuse, pour établir des pompes ou ménager des écoulements aux eaux ; enfin, pour donner de l’air aux ouvriers. Or, si le propriétaire du terrain peut refuser son consentement à l’ouverture, il ne faudra qu’un homme de mauvaise humeur, pour faire perdre le fruit d’une dépense immense, ruiner les entrepreneurs et rendre impossible l’exploitation de la mine la plus riche et la plus avantageuse pour l’État. Quelque étendue qu’on puisse donner au droit du propriétaire du sol, il ne saurait avoir celui de ruiner, sans intérêt, la fortune d’un autre citoyen. La loi doit les protéger tous également ; par conséquent elle doit ordonner au propriétaire de souffrir une ouverture dont le mineur ne peut se passer, et obliger le mineur à lui donner un dédommagement tel, qu’il demeure entièrement indemne. Le droit des particuliers a toujours cédé à l’intérêt public ; et pourvu que le particulier soit dédommagé, il n’a point à se plaindre. Ce dédommagement peut être fixé par la loi même ; mais il paraît plus juste que le dédommagement soit plus ou moins fort suivant le plus ou le moins de tort que souffre le propriétaire ; ce qui dépend de mille circonstances locales et variables. Il suffit donc que l’indemnité soit fixée à dire d’experts, et par l’autorité du juge, lorsque les parties ne peuvent s’accorder.

§ VII. Troisième objection contre la liberté, fondée sur le danger des petites exploitations irrégulières, que chaque propriétaire pourrait faire sur son terrain. — Ce n’est pas seulement pour mettre l’État à portée d’assurer aux entrepreneurs des mines le fruit de leurs dépenses, que la propriété doit lui en être réservée, et qu’il ne doit pas être permis à chaque propriétaire de travailler les filons qui peuvent se trouver sous son terrain ; c’est encore pour prévenir l’inconvénient de ces petites exploitations faites par des paysans, qui creusent à la hâte quelques puits lorsqu’ils aperçoivent l’extrémité d’un filon qui se montre à la superficie de la terre, et les abandonnent dès qu’ils sont parvenus à une certaine profondeur, parce qu’ils manquent de fonds et d’intelligence. Ils ne peuvent ni soutenir les terres, ni se délivrer des eaux, ni se procurer l’air dont ils ont besoin pour respirer ; négligeant les précautions les plus essentielles, ils risquent à tout moment leur vie.

Ils gagnent à peine, à ce travail, ce qu’ils gagneraient partout